La décennie qui a suivi les « Trente Glorieuses » (1973-1982) a été marquée par un paradoxe. D’une part, la (...)
La décennie qui a suivi les « Trente Glorieuses » (1973-1982) a été marquée par un paradoxe. D’une part, la France, et le reste du monde occidental, ont connu des conditions économiques nettement plus difficiles, avec le ralentissement de la croissance réduite et la montée de l'inflation, l'augmentation du taux de chômage. D’autre part, les banques commerciales françaises, à l'instar de leurs consœurs occidentales, ont connu une croissance remarquable. En étudiant les plus grandes banques commerciales, − le Crédit Lyonnais et la Société Générale −, cet article démontre que cette croissance a été soutenue par l’expansion de leurs activités internationales, la création de produits innovants, l’établissement des nouvelles alliances, et surtout par les opportunités créées par l'essor de l’euromarché.
Mots clés : banques commerciales, euromarchés, l’innovation financière, Crédit Lyonnais, Société Générale.
The decade (1973–1982) that followed the ‘Trente Glorieuses’ was marked by a paradox. On the one hand France along with the rest of the Western world experienced markedly more difficult economic conditions, with slower growth and higher inflation and unemployment. On the other hand, French commercial banks along with their Western counterparts enjoyed remarkable growth. By examining the record of the two largest French banks, Crédit Lyonnais and Société Générale, this paper demonstrates that this growth was sustained by expanding their operations internationally, creating innovative products, forging new alliances, and above all by taking advantage of opportunities created by the burgeoning Euromarket.
Key words : Commercial Banking, Euromarkets, Financial Innovation, Crédit Lyonnais, Société Générale.
« Si l'on observe de manière très attentive la chronologie du processus de multinationalisation des grandes banques, il est troublant de constater à quel point l'intensification des efforts pour développer les activités internationales coïncide avec un ralentissement – sinon une stagnation – de l'activité économique et donc de celle des banques, dans le pays d'origine (...) [2] . »
Lorsqu’on se plonge dans l'histoire financière des années 1970, on est frappé par un « puzzle » intrigant, en France comme en Europe.
Les années de 1973 à 1982 sont considérées à l'unanimité comme des années de crise et de rêves brisés. En l'espace de dix ans seulement, on assiste en effet à plusieurs crises monétaires qui détruisent le système de Bretton Woods, à deux crises de l'énergie en 1973 et en 1979 et, enfin à la pire crise de la dette depuis des décennies en 1982… On s'attendrait logiquement à voir le secteur bancaire plonger dans plusieurs années de retraite à l’abri des frontières et des faibles profits. Au contraire, ces années ont peut-être été parmi les plus innovantes pour le secteur bancaire et financier, elles ont marqué le début de ce qu’Andrew Haldane, Simon Brennan et Vasielios Madouros appellent le « miracle productif » du secteur [3] .
Pour les banques commerciales en Europe occidentale et, en ce qui nous concerne plus précisément ici, en France, les années 1970 ont été des années d'expansion grâce au développement d'un marché non réglementé et global à partir de la fin des années 1960 : le marché de l'euro-dollar, c'est-à-dire des dollars accumulés et investis ailleurs qu'aux États-Unis.
Pour citer Catherine Schenk : «The Eurocurrency market is arguably the most dramatic financial innovation in the post-war period [4] . » Depuis leurs apparitions comme instruments à court terme, les euro-dollars évoluèrent en instruments à long terme c'est-à-dire en euro-obligations à partir du milieu des années 1960, puis en instruments à moyen terme (entre cinq et dix ans, alors nommés euro-crédits) à partir de la fin de
Cet argent était effectivement non réglementé. Comme l’écrit Jeffry Frieden : "Who was going to supervise dollar deposits in a German bank's branches on British soil? The answer came quickly enough: nobody [5] . »
Pourquoi le marché de l'euro-dollar est si crucial d'un point de vue historique ? Gary Burn propose une interprétation intéressante :
« The Eurodollar market, which was established in the City of London in the 1950s, can be considered the progenitor of the global financial system which exists today, for it marked the beginning of a movement away from the restrictions placed by the Bretton Woods system on international capital movements, and a return to the liberal internationalism and laissez-faire order of the private and central bankers that ended with the collapse of the gold standard in 1931 [6] . »
La pénétration géographique de nouveaux marchés (surtout dans les pays en voie de développement), ainsi que de nouvelles alliances continentales à travers les « clubs » bancaires, furent les dérivés naturels de la croissance du business de l'euro-dollar. Dans cet article, on démontrera comment les banques commerciales ont su profiter de ce climat de crise. Les banques devinrent, à nouveau, un pivot de l'économie mondiale après les années sombres (pour le secteur bancaire) de Bretton Woods. Le gouvernement avait désormais besoin d'elles pour soutenir une industrie affaiblie et pour soulager les tensions sociales et fiscales grâce au marché de l'euro-dollar. Par conséquent, un nouveau type de banquiers cosmopolites émergea, ouvert au monde et aux nouvelles opportunités. Sans le savoir sans doute, ces banquiers furent les hérauts d'une nouvelle phase du développement capitaliste.
L’attitude au sein de la Banque de France et du gouvernement français envers le marché de l’euro-dollar et de la libéralisation des activités financières internationales a été largement ambivalente jusqu’en 1973. Le fait que ce marché facilitait le maintien de la position dominante du dollar ainsi que la totale absence de réglementation dans ce marché ont souvent fait pencher le régulateur du coté de l’Allemagne, pays qui voulait une réglementation plus stricte des activités financières internationales. Dans une lettre adressée au ministère du Trésor anglais par l’ambassade britannique à Paris en mai 1971, par exemple, on s’inquiétait beaucoup du désir de réglementer le marché de l’euro-dollar de la part des autorités françaises [7] . Néanmoins, les chocs de la période 1971-1973 feront changer une fois pour toutes la balance de pouvoir entre marché financiers et pouvoirs publics. Si d’un coté, avec la reforme de 1973 [8] , la Banque de France devint plus dépendante des pouvoirs publics, de l’autre, les « turbulences » de cette période obligèrent le Trésor et la Banque de France à stimuler la diversification internationale des sources de financement des banques françaises pour soutenir une industrie anémique, en crise sur le marché européen et menacée outre-mer ainsi qu’un budget toujours moins solide (cf. tableau 1).
Tableau 1 : Crédit bancaires en euro-monnaies, 1970-1977 (mn de USD)
Pays |
1970 |
1971 |
1972 |
1973 |
1974 |
1975 |
1976 |
1977 |
PVD non-OPEC |
300 |
936 |
1481 |
4537 |
6252 |
8199 |
11019 |
13427 |
Brésil |
87 |
257 |
579 |
740 |
1672 |
2152 |
3232 |
2814 |
Mexique |
56 |
295 |
196 |
1588 |
948 |
2311 |
1993 |
2700 |
Philippines |
5 |
0 |
50 |
187 |
843 |
363 |
970 |
698 |
Europe |
4246 |
2601 |
4097 |
13783 |
20683 |
7231 |
11254 |
17201 |
France |
19 |
40 |
176 |
50 |
3224 |
719 |
586 |
2325 |
GB |
48 |
462 |
689 |
3150 |
5655 |
160 |
1671 |
1992 |
Même si officiellement aucune mesure ne sera prise concernant les activités sur le marché de l’euro-dollar, à partir de 1972, c’est un double standard réglementaire qui est mis en place en France. Si d’un coté l’encadrement du crédit devient permanent, de l’autre aucun contrôle ne sera appliqué au marché de l’euro-dollar. Avec pour conséquence une internationalisation massive de l’activité des grandes banques commerciales françaises.
Il faut insister sur le fait que lorsque l’on parle des euro-dollars, l’on ne parle pas seulement de choix monétaires mais aussi de choix de société. Ne pas réglementer, déléguer certains pouvoirs au secteur bancaire et financier sont des décisions qui comportent des risques mais qui reflètent aussi une vision de
Cet article tente de sortir d’une vision purement économique et économiste des choses pour mettre en évidence les enjeux politiques et sociaux autour du phénomène de l’euro-dollar et de l’expansion bancaire de la décennie analysée. On basera notre analyse sur une littérature qui va de l’histoire économique à la littérature anglo-saxonne d’International Political Economy.
Les documents utilisés proviennent des archives de la Banque de France, du Crédit Lyonnais et de
L'aube d'un « Nouvel Âge d'Or » : les banques commerciales françaises dans le cadre du nouveau régime
Cette section illustre comment le Crédit Lyonnais et
Aussi bien le Crédit Lyonnais que
Crédit Lyonnais
Sans remonter trop loin dans le temps [10] , on peut dater le développement international des activités du Crédit Lyonnais à la création de l'Office des affaires internationales sous l'autorité du comte Tanneguy de Feuilhade de Chauvin en 1969. M. de Feuilhade entra au Crédit Lyonnais en 1951 après des études de droit à Paris et des expériences professionnelles aux ministères de l'Agriculture (1943-45) et des Finances comme inspecteur (1945), ainsi qu'à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) entre 1948 et 1951.
Sous la responsabilité directe de M. de Feuilhade, deux départements furent créés au sein de
« Mettre à la disposition des collectivités et entreprises françaises ou étrangères des ressources recueillies hors de leur pays d'origine [souligné par l'auteur, c’est-à-dire sur les euro-marchés] pour le financement de leurs programmes d'expansion à l'échelle internationale; de collecter des ressources stables en devises grâce auxquelles notre Établissement pourra continuer à développer son rôle de banque internationale d'investissement ; de contribuer à la diffusion des valeurs mobilières tant françaises qu'étrangères sur les différentes places financières ou existe une épargne disponible. En conséquence, ce département est chargé des montages, garantie et placement des émissions internationales ; des crédits, dits financiers, par lesquels le Crédit Lyonnais consent directement des prêts à moyen terme en toute devise à des collectivités et entreprises de standing international ; enfin, des transactions boursières sur les places étrangères [12] . »
La structure des Affaires internationales se modifia encore en 1972. Le monde de l'après-guerre changeait de plus en plus vite, ainsi le Crédit Lyonnais dut se moderniser, toujours sous la direction de M. de Feuilhade :
« Agir à l'échelle de la planète fait aujourd'hui peser sur nous de lourdes contraintes et appelle des 'impasses'. Le problème est de savoir si c'est bien là une des voies majeures de notre avenir. Si, dans un monde où les frontières ne cessent chaque jour de s'estomper (Japon, URSS, Chine, Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud, etc. sans parler du Marché Commun), nous sommes convaincus que le Crédit Lyonnais devra, pour maintenir son rang, internationaliser toujours davantage [souligné par l'auteur] son activité, l'hésitation n'est pas permise. Il nous faut, avec l'appui de nos partenaires européens et au besoin seuls, poursuivre la mise en place d'un réseau aussi complet et cohérent que possible, en sachant que tout retard dans la réalisation de cet objectif augmentera finalement nos charges ou aggravera notre manque à gagner [13] . »
L'Office des affaires internationales fut ainsi reconstitué sous un nouveau nom pour refléter la nouvelle alliance stratégique sur le plan continental avec la création en 1970 des « Europartenaires », un club bancaire rassemblant le Crédit Lyonnais, la Commerzbank, la Banco di Roma (à partir de 1971) et le Banco Hispano-Americano (à partir de 1973).
Les club bancaires atteignirent leur apogée dans la première moitié des années 1970 lorsque de nombreuses banques européennes commencèrent à unir leurs moyens contre la « menace » américaine en créant des joint ventures ou des agences communes à l'étranger afin de pénétrer de nouveaux marchés et de se développer sur le marché des euro-dollars, où la taille de la banque commençait à devenir de plus en plus importante pour placer des montants toujours plus conséquents auprès des détenteurs d'obligations et des emprunteurs. Bien que le Crédit Lyonnais fut alors la plus grande banque française, il souffrait d'une sorte de « complexe d'infériorité » vis-à-vis de ses concurrents, notamment
L’analyse que fait le Crédit Lyonnais de la politique d'alliances de son concurrent rappelle la fable d'Ésope, Le Renard et les Raisins :
« Les réalisations communes sont déjà importantes... Mais il ne semble pas que
L'office fut rebaptisé Département central pour les affaires internationales et la coopération (DCAIC). Deflassieux et Smolarski furent nommés directeurs des affaires internationales, Deflassieux responsable de l'expansion dans les pays en voie de développement et Smolarski dans les pays développés. Ce dernier garda en outre la responsabilité de la DOFI qui fut divisée en trois secteurs : 1) affaires, 2) bourses, placements et trading, et finalement 3) financements.
Des modifications ultérieures eurent lieu en juillet 1978 lors du départ à la retraite du comte de Feuilhade, mais aussi « pour adapter ce dispositif au développement considérable des nos implantations et activités bancaires et financières internationales... [15] ».
En cette occasion, Jean Deflassieux devint responsable de
À partir de la fin des années 1970, le risque associé aux prêts aux pays en voie de développement à travers les crédits en euro-dollars commença à devenir non négligeable, surtout après le défaut du Pérou en 1977. Un Département pour l'administration et le contrôle des affaires internationales (DACI) fut alors créé sous la supervision d'Henri de Montbel. Pourquoi la montée des risques associés aux euro-crédits, le produit phare des années 1970, ne mit-elle pas fin aux activités de prêts internationaux ? Pour le moment, on peut dire que la crise économique des années 1970 donna un coup de massue aux profits des entreprises et à la position fiscale des États. Dans ces conditions, l’octroi de prêts aux pays en voie de développement à travers les euro-marchés devint un instrument crucial pour calmer les tensions sociales sur le marché du travail en créant de nouveaux emplois et de nouvelles sources de profit pour les entreprises domestiques en crise et pour un électorat de plus en plus mécontent. « L'évolution des échanges de la France avec le Tiers Monde entre 1970 et 1976 a entrainé la création nette de 100 000 emplois supplémentaires [16] », affirme M. Cheynel du Département des études économiques et financières (DEEF).
La crise de la dette de 1982, – lorsque le Mexique, suivi par d'autres pays en voie de développement, annonça un moratoire sur le paiement de sa dette colossale –, marqua la fin de la première phase d'expansion bancaire et financière après les années calmes de Bretton Woods.
Même si les objectifs de la DCAIC étaient en apparence les mêmes, − c’est-à-dire servir les besoins des clients et du pays, préserver les emplois et assurer son propre développement −, les moyens changèrent radicalement sous la nouvelle direction de Bernard Thiolon et la présidence de Jean Deflassieux. Au lieu de s'appuyer sur une « expansion quantitative » :
« Il apparait désormais moins indispensables d'axer notre action sur une expansion quantitative et continue du réseau étranger que d'approfondir et consolider notre implantation et améliorer nos performances, notamment dans certains secteurs d'activité prioritaires [17] . »
Pour conclure, il est important d'insister sur l'importance fondamentale des années 1970 pour l'expansion inédite du Crédit Lyonnais. Entre 1976 et 1986, le nombre d'agences et d’affiliations à l'étranger passa de 106 à 272, les investissements en agences et affiliations à l'étranger grimpèrent eux de 350 millions FF à 3,5 milliards FF. Une description sommaire, mais significative de cette activité frénétique hors de France est perceptible dans le graphique 2 qui mesure, sur une période de cent ans, le nombre de filiales et de banques affiliées (mais pas des succursales) du Crédit Lyonnais.
Graphique 2 : L'expansion du Crédit Lyonnais à l'étranger, 1870-1970
Les efforts portés sur l'expansion sur le marché de l'euro-dollar furent payants (cf. tableau 2). En 1980, le Crédit Lyonnais dirigea ou codirigea 48 euro-obligations pour un montant de 3,6 milliards de dollars américains et 136 euro-crédits pour un total de 23,5 milliards de dollars, atteignant le rang de première banque en Europe et de troisième dans le monde après deux banques américaines. Le dernier jumbo-crédit émis sous la direction ou la codirection des Europartenaires fut le jumbo-loan de 2 milliards de dollars pour la compagnie pétrolière mexicaine (PEMEX) en avril 1982, quatre mois seulement avant le début de la crise de la dette [18] .
Tableau 2 - Euro-obligations/crédits dirigés ou co-dirigés par le Crédit Lyonnais (en millions de US$, 1975-1980) [19]
1975 |
1977 |
1979 |
1980 |
|
Euro-obligations |
$863 |
$2.400 |
$2.900 |
$3.600 |
Euro-crédits |
$2.180 |
$1.200 |
$21.200 |
$23.500 |
L'importance du marché de l'euro-dollar, et des euro-marchés en général, était tellement centrale que déjà au début des années 1970 les zones d'expansion étaient les centres européens pour ce marché (Royaume-Uni, Suisse et Luxembourg), les pays de l'Est en tant que grands emprunteurs (RDA, URSS et Pologne) ainsi que les pays d'Amérique latine (en particulier le Brésil). Une installation importante fut celle de l'agence de Panama d’où une grande partie des opérations en euro-dollars et en euro-monnaies était gérée grâce au statut de paradis fiscal et à la proximité avec les pays latino-américains. Il faut toutefois reconnaître que, même avant le premier choc pétrolier, l'expansion à l’étranger et sur les euro-marchés était en marche mais les efforts étaient sporadiques et limités par le manque de capitaux. Comme le note Gérard Aubanel de la Direction générale des services étrangers de la Banque de France (DGSE) :
« Les "émissions d'obligations internationales" et les "crédits internationaux" n'ont pas débuté avec la crise du pétrole de 1974, et la nécessité de recycler des montants importants d'excédents pétroliers. Mais la crise a considérablement accentué le rôle des banques sur le plan international [20] . »
Comme pour le Crédit Lyonnais, cette section présenter l'internationalisation de
Si les opérations internationales du Crédit Lyonnais sont restées étroitement contrôlées par Tanneguy de Feuilhade,
En tant que directeur général adjoint, Marc Viénot supervisait la Direction de l'étranger et de la trésorerie (DEIT) après le départ de Marius Gotti en 1975. En 1976, la DEIT passa sous la direction de Léopold Jeorger qui rapportait directement à Viénot. La DEIT fut réorganisée par Marc Viénot en janvier 1975 parce que :
« Le développement et la complexité grandissante des opérations commerciales, bancaires et financières internationales...conduisent à réaménager l'organisation de la Direction de l'Étranger [22] . »
La DEIT aura désormais un service administratif, un service trésorerie, changes, crédits internationaux et crédits documentaires sous la responsabilité de Roger Sabot, et deux Départements des relations internationales : le premier, dirigé par Louis Buttay, en charge de l'Amérique Centrale et de l’Amérique du Sud, des Pays socialistes, du Proche et du Moyen-Orient, de l’Extrême-Orient et de l’Australasie) ; le second, dirigé par Gilbert Barre, en charge de l'Europe occidentale et des pays anglo-saxons. Finalement, un service de la coopération européenne et un service pour le contrôle des engagements furent également créés.
Historiquement, les euro-crédits étaient le domaine de la DEIT tandis que les euro-obligations étaient le domaine de la Direction financière (DF). Au début de 1976, sous la main de fer de Marc Viénot et à la suite de l'importance croissance du marché des crédits en euros-dollars à moyens terme, le service pour les crédits internationaux de la DEIT et le service des émissions internationales de la DF furent fusionnés pour donner naissance au Service des financements internationaux (SFI) rattaché à la DEIT sous la supervision de Guy Bastidon.
La raison de cette décision est claire aux yeux de Viénot :
« La recherche et le montage d'émissions internationales sont traditionnellement, à
La structure des opérations internationales de
Il est crucial maintenant d'analyser pourquoi
« Parmi les facteurs qui ont conduit
Dans cette lettre, on retrouve clairement deux points auxquels on a attribué la renaissance de la finance au début des années 1970, c'est-à-dire le développement des euro-marchés ("fils" du marché de l'euro-dollar) et leur rôle dans le recyclage des capitaux pétroliers, ainsi que l'entrée dans une période de crise prolongée en Europe à partir de la fin des années 1960, et le début d'une crise fiscale des États. Dans la même lettre, Marc Viénot donne plus de détails sur la mission de
En ce qui concerne le soutien aux exportations, les banques commerciales devinrent un acteur fondamental dans un contexte de compétition accrue entre nouveaux concurrents, en particulier les entreprises japonaises soutenues par leurs banques respectives [26] . Ce dernier aspect est central pour comprendre le rôle joué par les banques et l'attitude des pouvoirs publics envers l'expansion internationale et les euro-marchés. Dès que la situation économique des pays occidentaux commença à se détériorer à partir du début des années 1970 et surtout à partir du premier choc pétrolier, exporter devint le « Saint-Graal » de la plupart des gouvernements. Et comme la crise fiscale ne leur permettait pas d'aider directement les entreprises locales, ils durent avoir recours au secteur bancaire et financier qui, après le développement de l'euro-dollar, était en mesure de « créer » de l'argent sans affecter les balances de paiements de plus en plus fragiles. Les euro-marchés et les autres opérations internationales permirent aux banques françaises d’échapper aux réglementations domestiques et à l'« infâme » encadrement du crédit.
La première partie de cette stratégie poussa
L'internationalisation de
Tableau 3 - L’internationalisation des activités de
1972-75 |
1976 |
1977 |
1978 |
1979 |
1980 |
1981 |
|
Americas |
L: Canada RO: Caracas |
L: USA |
BR: Sao Paulo F: SG S.A. (Canada) Inc. |
BR: Bogotá S: New York L:Mexique F: Hudson Securities (US) |
BR: Buenos Aires |
BR: Huston L: Venezuela |
S: Panama Los Angeles |
Europe de l’est |
BR: Moscou, Berlin |
BR: Varsovie |
BR: Bucarest |
BR: Belgrade |
BR: Sofia S: Bucarest |
||
Europe occidentale |
L: GB |
S: Birmingham |
BR: Stockholm S: Amsterdam, Francfort L: Suisse |
BR: Athènes S: Bristol |
BR: Oslo S: Leeds L: Espagne |
BR: Edinburgh, Rome S: Milan, Athènes, Rotterdam F: SG Strauss Turnbull Ltd. (GB) |
|
Afrique |
RO: Johannesburg |
BR: Le Caire |
F: Sudanese Investment Bank, National SG Bank S.A. (Egypte) L: Cote d'Ivoire |
RO: Nairobi L: Cameroun |
|||
Moyen-Orient |
BR:Beyrouth, Téhéran |
S: Manama |
L: Iran |
||||
Australasie |
BR: Jakarta, Bangkok , S: Tokyo |
BR: Manila, Sydney S: Hong Kong F: Sogeko (Corée du Sud) |
BR: Lagos, New Delhi |
S: Singapour L:Corée du Sud |
BR: Hong Kong S: Taipei, Manille F: SG Australia Ltd. L: Australie |
BR: Seoul, Tokyo (Affaires financières) |
|
Affiliations |
BEAL, UAB, EURAB, BRADESCO, EURAS, EBC, Union Congolaise de Banque, Cominif (Iran) |
Al Bank Al Omani (Oman), Coframex (Mexico) |
Sogefinance ( Cote d'Ivoire), SG (Nigeria) Ltd. |
Frab Bank (Bahreïn) |
Central European International Bank Ltd. (Hongrie), Trade Credit Ltd. (Australie) |
L : Leasing, BR : Bureau de représentance, S : Succursale, F : Filiale
À partir du tableau 3, on peut retracer quatre axes de développement de
Pour donner un idée plus précise de la croissance phénoménale des marchés « périphériques » et, par conséquent, de leur importance comme débouchés pour les biens d'exportation, il faut souligner qu’entre 1978 et 1980, les engagements envers le Mexique augmentèrent de 267 %, de 337 % envers le Brésil, de 446% envers l'Argentine, de 318% envers la Corée du Sud et de 725 % envers la Côte d'Ivoire.
Ce n'est pas ici notre propos de traiter de la question de la pénétration dans les pays en voie de développement de
Comment les choses ont-elles changé, comment les banques se sont-elles substituées à l'État (et comment l'État a-t-il accepté cette substitution) dans le financement de l'économie, assumant un rôle central et ouvrant ainsi la voie à la financiarisation progressive de la société dans les années suivantes, c'est-à-dire «The increasing role of financial motives, financial markets, financial actors and financial institutions in the operation of the domestic and international economies [29] » ?
Eric Helleiner a mis en évidence trois types de décision politiques qui ont favorisé la globalisation de la finance après les années 1950: « 1) granting more freedom to market operators through liberalization initiatives, 2) to refrain from imposing more effective controls on capital movements, and 3) to prevent major international financial crises [30] ». Il a basé son analyse en particulier sur les cas britannique et américain. On se penchera ici sur le cas français afin de mieux comprendre comment au moins deux de ces aspects ont été clairement mis en œuvre par le régulateur français.
Quel a été le comportement de la Banque de France par rapport à l'internationalisation des opérations bancaires, aussi bien ses réactions face aux ouvertures de nouvelles succursales qu’à travers son attitude face au marché de l'euro-dollar et aux euro-marchés en général ? Comment la Banque décida de ne pas intervenir sur ces marchés, ouvrant ainsi la voie à la financiarisation progressive de l'économie française ? Le soutien des euro-marchés et des opérations bancaires et financières internationales de la part de la Banque de France n’était pourtant pas acquis a priori, étant donné l'histoire des contrôles des flux de capitaux dans l'après-guerre.
L'attitude des puissances occidentales face aux flux de capitaux après Bretton Woods était loin d'être favorable. Les flux de capitaux étaient considérés comme dangereux pour la reconstruction, et même après le retour à la convertibilité externe des monnaies européennes, les flux de capitaux restèrent sous le contrôle étroit des autorités gouvernementales. Les réglementations officielles sur les flux de capitaux ne furent abandonnées qu'en 1974 aux États-Unis, en 1979 au Royaume-Uni, et, en Europe continentale, le mouvement vers la libéralisation des capitaux n'aboutit qu'en 1992 lors de la signature du traité de Maastricht. Petit à petit, la distinction entre marchés domestiques et euro-marchés devint inutile : aujourd'hui il n'y a que les euro-marchés. Mais le succès des activités financières internationales n'était pas évident dans les années 1960-1970. Les marchés financiers ont-ils « vaincu » l'État ? Est-ce la technologie qui a empêché une réglementation efficace ? Ou bien l'État aurait-il pu contre-attaquer et limiter l'expansion du marché de l'euro-dollar ? Il s'agit de questions cruciales pour l'histoire financière contemporaine. Quelle a été l'attitude de la Banque de France envers le marché de l'euro-dollar (et les euro-marchés) et envers les activités de
Comme on l’a mentionné plus haut, le soutien aux euro-marchés était loin d'être acquis à la fin des années 1960 et au début des années 1970. En 1969, lors de la réunion hebdomadaire du Conseil général de la Banque de France, il fut demandé au gouverneur « s'il existe actuellement des mesures légales ou réglementaires permettant d'interdire aux banques de s'approvisionner sur le marché de l'euro-dollar [31] ». Le 17 juin 1971, le gouverneur nota : « À propos des problèmes monétaires internationaux, il est à noter que le Président de la Banque des Règlements Internationaux a, dans une récente déclaration, confirmé officiellement la décision des banques centrales de cesser d'effectuer sur le marché des euro-monnaies de nouveaux placements directs… et indirects en vue de ne pas augmenter les placements faits à travers la B.R.I. Il a également annoncé que des études étaient entreprises sur les mesures à adopter pour orienter et contrôler l'évolution de ce marché [32] . » De plus, certains secteurs de l'establishment de l'administration française exprimèrent des doutes sur leur développement. Le ministre plénipotentiaire de l'ambassade de Londres écrivit en 1974 : « Depuis le début de 1974, les conditions, dans lesquelles s'est développé le marché de Londres, résultent de la situation économique et financière nouvelle créée dans le monde par les effets directs ou indirects de la hausse des prix des produits pétroliers… l'instabilité des économies et des systèmes bancaires, que cette crise a accentué, a rendu plus pressants les dangers d'un développement excessif des opérations de ce marché [33] . »
Au niveau international, la nécessité de contrôler ce marché était claire, comme le souligna René Larre de la Banque des règlements internationaux (BRI) : « All the principal industrial countries agree, however, that some controls on Eurocurrency flows are necessary [34] . »
Pourquoi alors ces contrôles ne furent-ils jamais mis en œuvre ?
Pour comprendre, il faut se plonger dans la réalité des années 1970, et c'est pour cela qu'on a parlé d'un puzzle, c'est-à-dire la fin des « Trente Glorieuses », âge d’or du capitalisme fordiste et, parallèlement, l'émergence du secteur bancaire et financier. Il est important de comprendre que ces deux éléments constituent deux faces d'une même médaille, aspect fondamental pour comprendre l'expansion des banques françaises à l'étranger et leur émergence comme acteur central de la scène économique post-Bretton Woods marquée par un contrôle étroit du secteur bancaire et par sa subordination au secteur industriel.
Dans un discours très lucide, Gérard Aubanel de la Banque de France dit :
« Traiter... du contrôle étatique et du rôle des banques centrales dans le domaine des euro-crédits, peut paraitre ambitieux, tant l'action des autorités monétaires à l'égard de ce nouveau secteur est demeurée modeste, en comparaison des réalisations des banques commerciales. En fait, les banques centrales, un peu sous l'empire des nécessités, ont... observé et laissé faire: et ce n'est que récemment, qu'elles ont commencé à exprimer "certaines préoccupations" [35] . »
On retrouve ici un aveu candide que la banque centrale était en retard par rapport au développement des crédits en euro-dollars. Pourquoi cela ?
La crise de l'énergie de 1973-1974 plongea le monde dans la pire récession depuis les années 1930. C'était le coup de grâce porté aux années glorieuses qui suivirent la fin de
« Les pays de l'OPEP vont voir dans les années à venir la possibilité d'accumuler des capitaux considérables... Une fraction importante des excédents accumulés par les pays de l'OPEP se fera au détriment des pays de l'OCDE qui consomment la plus grande part de l'énergie mondiale produite et dont l'approvisionnement en pétrole est essentiellement tributaire du Moyen-Orient. »
Ils continuèrent en décrivant le scénario mondial à la lumière du nouveau contexte d'instabilité économique :
« Si l'on raisonne dans une "partie" à trois agents, O.P.E.P., O.C.D.E. et U.S.A., dans laquelle du point de vue de la balance commerciale l'un est neutre (U.S.A.), et un autre excédentaire (O.P.E.P.), il est évident que le troisième ne peut être que déficitaire (sic)... Pour que cette "partie à trois" débouche sur un équilibre durable il faudrait qu'à moyen terme la capacité d'absorption des pays de l'OP.E.P. croisse de façon considérable : or si pour certain pays (Irak, Iran, Algérie, Égypte) cette capacité est peut-être actuellement sous-estimée (ou en tout cas pourrait être stimulée), d'autres tels l'Arabie Saoudite, la Libye et les Émirats du Golfe Persique s'installent durablement dans une situation de rentiers; dans ces conditions seule l'introduction d'un quatrième agent économique permet de rompre la quadrature du cercle. »
Ainsi, il fallait un quatrième acteur pour aider les pays européens à surmonter la crise, mais où le trouver ? La réponse ne tarda pas à arriver.
« Cet agent sera appelé pour des raisons de commodité 'P.V.D' [Pays en voie de développement]. Pour redessiner la carte des déficits de balance des paiements et puisqu'il s'agit de redresser la balance des paiements de l'O.C.D.E. donc de "repasser" aux P.V.D. le déficit de l'O.C.D.E. il importe a) de donner une contrepartie positive aux déficits que les P.V.D devront accumuler, b) d'accroitre les échanges entre les P.V.D. et les autres agents (notamment O.C.D.E.) puisque le volume du commerce international sera le véhicule de ce déficit [36] . »
Le résultat de ce processus est assez évident, en particulier avec du recul sur les événements de 1982. Les pays en voie de développement devinrent la variable d’ajustement pour les déséquilibres fiscaux et la faible croissance occidentale, les banques, notamment les banques françaises devinrent les bourreaux réticents. À travers ce schéma, on arrive à mieux comprendre la première raison qui fait du marché de l'euro-dollar « the progenitor of the global financial system which exists today » pour employer les mots de Burn et aussi pourquoi les banques françaises ont fait des profits dans une période de stagnation économique, de tensions sociales et de chômage croissant dans les secteurs « historiques » du système capitaliste d'après-guerre.
Le secteur bancaire devint la pierre angulaire entre les ambitions des gouvernements à soutenir l'économie domestique et les positions des pays en voie de développement, regagnant ainsi une nouvelle centralité après les années « sombres » de Bretton Woods. Personne ne souhaitait vraiment réglementer ces activités, bien au contraire.
La deuxième raison qui permit au marché de l'euro-dollar de devenir un élément clé pour la nouvelle aube du secteur bancaire est la faiblesse du marché financier domestique. Même pour le gouvernement français, cela devenait de plus en plus difficile de financer son déficit budgétaire grandissant. À ce propos, Aubanel nota :
« Si l'on prend la France pour exemple, la couverture de ses déficits de balances, depuis 1974 – en liaison, au reste, avec ses besoins de capitaux à long terme que le marché financier intérieur ne pouvait satisfaire – a nécessité des recours aux marchés extérieurs, portant sa dette extérieure, le 31 décembre 1979, à 66 milliards de francs en euro-crédits et 27 milliards de francs en euro-obligations, ce qui souligne le rôle primordial des euro-crédits même pour un pays tel que le nôtre [37] … »
M. Aubanel continue :
« Songer à limiter l'activité en devises des banques, à une époque ou leurs crédits sont indispensables au maintien de l'activité économique internationale, tel est le dilemme (sic) auquel se trouvent confrontées les banques centrales, alors même que chaque établissement ne manque pas de s'inquiéter d'être souvent sollicité de prêter son concours dans des circonstances qu'il n'aurait pas souhaité. »
La solution au dilemme des années 1960 jusqu'audébut des années 1980 fut simplement de ne pas intervenir et d’assumer une attitude attentiste. Ce ne fut pas seulement le cas des autorités françaises bien entendu. Partout dans le monde occidental, les banques furent laissées libres de se développer et les marchés ne furent pas réglementés.
Les années 1970 sont généralement considérées comme des années de crise et de rêves brisés. Le monde occidental entre dans une phase de faible croissance, d’inflation élevée et de chômage croissant. Néanmoins, le secteur bancaire occidental et français connut une phase de croissance sans précédent en ce qui concerne ses opérations internationales. Ce fut également une période de forte innovation financière.
En ce qui concerne les banques françaises, la part des opérations en devises étrangères fut multipliée par vingt en l'espace de dix ans (de 10 % à 27,1 % de leurs bilans), les activités sur les marchés étrangers furent également multipliées par vingt, représentant 35 % de leurs bilans, pour 14 % dix ans auparavant [38] . Comment une telle expansion a-t-elle pu survenir dans un système où le crédit était strictement réglementé ? Comment le Crédit Lyonnais et
L’article a contribué à montrer pourquoi le marché de l'euro-dollar représenta un instrument très bien accueilli, un instrument de soutien aux entreprises domestiques, en fournissant des crédits en dollars aux pays en voie de développement, afin de leur permettre d’acheter des produits français, comme par exemple des centrales nucléaires, des voitures, de l'acier, etc. De plus, le marché de l'euro-dollar aida le gouvernement français (et les entreprises dépendant de l’État) à équilibrer ses comptes (en déficit depuis 1974), ouvrant de nouvelles vannes de financement, comme ce fut le cas en 1974 (certaines dates sont récurrentes…) avec l'emprunt de 1,5 milliard de dollars organisé par
Le business des euro-crédits, en particulier, fut un véhicule fondamental pour le retour des banques commerciales sur le devant de la scène après les années de Bretton Woods. Pour répondre à Carlos Marichal, on pourrait dire que ces flux de capitaux sont sans aucun doute les ancêtres de la globalisation financière à venir [39] .
À cause de l'importance des euro-dollars dans ce contexte de crise, la Banque de France et le gouvernement français mirent en œuvre un double standard réglementaire, comme le remarqua M. Aubanel :
« Aussi, peut-on s'interroger sur les raisons qui font que l'on soit conduit à déplorer le trop rapide développement des crédits internationaux, alors qu'une entière liberté, voire des encouragements, leur sont, par ailleurs, consentis [40] . »
Alors que les transactions concernant des résidents français et le franc étaient réglementées strictement à travers un système complexe de freins et de contrepoids et, à partir de 1972, à travers un encadrement presque permanent du crédit, les transactions impliquant les euro-monnaies, les non-résidents et les industries exportatrices furent laissées presque totalement non réglementées [41] .
En « garantissant plus de liberté aux opérateurs de marché » et « en s'abstenant d'imposer des contrôles plus efficaces sur les mouvements de capitaux » (cf. Eric Helleiner), les autorités françaises ont contribué de manière fondamentale à l'expansion du secteur bancaire après la période de Bretton Woods, quand l'État était le banquier de l'économie. Les banques retrouvèrent le devant de la scène pour plusieurs raisons, mais selon nous pour deux essentielles : 1) les banques réussirent à donner une contribution fondamentale à l'activité économique (et à la balance des paiements) en fournissant des crédits aux pays en voie de développement grâce à l'intermédiaire déterminant des euro-marchés, 2) à travers le marché de l'euro-dollar, elles aidèrent à alléger la crise budgétaire de l'État dans un nouveau contexte d'instabilité macro-économique. Ce contexte représenta la condicio sine qua non de la renaissance de l’activité bancaire après la fin de Bretton Woods.
Résigné, M. Aubanel fit remarquer dans son discours : « Il semble bien que ces marchés [les euro-marchés] bénéficieront longtemps encore – que ce soit, ou non, souhaitable – de la quasi-liberté qui les caractérise aujourd'hui [42] . »
Avec un peu de recul, on ne peut que rendre hommage à sa perspicacité. La récente débâcle financière invite peut-être le lecteur à s’interroger sur la pertinence d'un tel choix.
Pour citer cet article : C. Edoardo Altamura, « La banque dans la tourmente : les banques françaises, la Banque de France et le marché de l’euro-dollar », Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 19, janvier-avril 2013 [en ligne, www.histoire-politique.fr]
[1] Je tiens à remercier mes collègues à l’Institut « Paul Bairoch » de l’université de Genève pour leur précieuse collaboration, en particulier Matthieu Leimgruber pour sa patience et ses commentaires et Jean Rochat pour ses corrections d’orthographe. Je remercie les archivistes du Crédit Lyonnais et de
[2] Joël Métais, « Le processus de multinationalisation des grandes banques commerciales », Revue économique, vol. 30, n° 3, 1979, p. 487-517.
[3] Andrew Haldane, Simon Brennan and Vasileios Madouros, “What is the cCntribution of the Financial Sector: Miracle or Mirage? », dans The Future of Finance, Londres, London School of Economics and Political Science, 2010.
[4] Catherine Schenk, “The Origins of the Eurodollar Market in
[5] Jeffry A. Frieden, Banking on the World. The Politics of American International Finance,
[6] Gary Burn, “The state, the City and the Euromarkets”, Review of International Political Economy, 6: 2 Summer 1999, p. 225.
[7] Après avoir illustré le projet français, le correspondant de l’ambassade conclut : “I pass this on for what it is worth… But they [nda : les Français] have a nasty habit of working away in a vacuum from ideas like this and coming up later with concrete proposal which no one likes”, Archives Banque d’Angleterre (ABA), lettre de D.M.D. Thomas à M.E. Hedley-Miller, 8A406/3.
[8] Sur la réforme de 1973, voir par exemple : Rocco Ponzano, « Structures et fonctions de la Banque de France depuis 1973. Banque des banques ou banque prima inter pares ? », dans Olivier Feiertag et Michel Margairaz (dir.), Gouverner une banque centrale : du XVIIe siècle à nos jours, Paris, Albin Michel, 2010.
[9] Voir par exemple : Gerald A. Epstein (ed), Financialization and the World Economy, Cheltenham, GB, et
[10] Pour une histoire exhaustive du Crédit Lyonnais, cf.
[11] Archives du Crédit Lyonnais (ACL), 332AH80, lettre du Directeur Général aux employés, 18.02.1969.
[12] Ibid.
[13] ACL, 110AH10, Programme des Affaires Internationales 1973-75, 23.05.1973.
[14] ACL, Procès-verbal du Conseil d'Administration, 07.10.1971.
[15] ACL, 332AH180, Lettre du président du CL, Pierre-Brossolette aux employés, 12.06.1978.
[16] ACL, 332AH180, 15.12.1978
[17] ACL, 332AH180, Directive n 3 du président J. Deflassieux, 30.12.1983.
[18] Rapports annuels CL, différentes années.
[19] Ibid.
[20] Archives de la Banque de France (ABF), 1489200304-15, G. Aubanel, Directeur-adjoint de première classe, Direction Générale des Services Etrangers, « Le rôle des banques dans le recyclage des capitaux », 29.04.1980.
[21] Sur les origines de
[22] Archives Société Générale (ASG), Ordre de service relatif à l'organisation de la Direction de l'Étranger, 28.01.1975.
[23] Archives Société Générale (ASG), 81118, lettre de Marc Viénot (Directeur général adjoint) à Maurice Lauré (Président de la SG), 4.06.1974.
[24] ASG, 81093, lettre de Marc Viénot (Directeur Général) à Jacques Delors (Ministre des Finances), 31.07.1981.
[25] Sur le rôle de l'État français dans le financement de l'économie, cf. Laure Quennouelle-Corre, "The State, Banks and Financing of Investments in France from World War II to the 1970s", Financial History Review, vol. 12, part. 1, avril 2005, p. 63-86.
[26] L'« agressivité » des entreprises japonaises et ses banques laissa M. Sicard ( ?) étonné après un voyage exploratif au Venezuela : "(…) Les Japonais sont prêt à tout faire (…)", lettre de M. Sicard à M. Buttay, 13.11.1974.
[27] ASG, lettre de M. Viénot à M. Delors, souligné par l'auteur.
[28] Laure Quennouelle-Corre, “The State, Banks…”, op. cit., p. 64.
[29] Gerald A. Epstein (ed.), Financialization and the World Economy, Cheltenham, GB,
[30] Eric Helleiner, States and the Reemergence of Global Finance,
[31] Archives de la Banque de France (ABF), Procès-verbal du Conseil Général, 12.09.1969.
[32] ABF, Procès-verbal du Conseil Général, 17.06.1971, souligné par l'auteur.
[33] ABF, 1482200504-96, lettre du Ministre Plénipotentiaire à Londres, 7.10.1974.
[34] ABF, 1397199001-21, présentation au Comité des 20, 30.03.1973.
[35] ABF, 1415200610-24, discours prononcé à l'Université de Dijon, 11.08.1980, souligné par l’auteur.
[36] ABF, 1489200304-15, "Quelques réflexions sur les excédents accumulés par les pays de l'O.P.E.P. et le recyclage des balances des pays de l'O.C.D.E.", Direction Générale des Services Étrangers, Balance des Paiements, 4.12.1974.
[37] ABF, 1415200610-24, souligné par l'auteur.
[38] ABF, 1415200610-24.
[39] Carlos Marichal, Nueva historia de la grandes crisis financieras. Una perspectiva global, 1873-2008, Editorial Debate, Madrid, Mexique et Buenos Aires, 2010, 181. Carlos Marichal se demande :"Es por esto que una pregunta que hacemos en las paginas siguientes consiste en saber si es posible afirmar que los verdaderos antecedentes de la globalización financiera moderna se encuentran en estos poderosos flujos internacionales de capital de los años 1970 a 1982."
[40] ABF, 1415200610-24.
[41] Sur ce point, on est en accord avec Michael Loriaux, cf. par exemple : "States and Markets French Financial Interventionism in theSeventies", ComparativePolitics, vol. 20, n° 2, Jan. 1988, 175-193.
[42] BFA, 1415200610-24, 11.08.1980.
C. Edoardo Altamura est doctorant de l’université de Genève (CH) et à l’université d'Uppsala (SUE), il est également assistant à l'Institut d'histoire économique « Paul Bairoch » de l’université de Genève depuis octobre 2010. Ses intérêts portent particulièrement sur l’histoire financière et bancaire internationale.