En 1979, l’élection au suffrage universel du Parlement européen est une nouveauté qui ne plaît guère aux gaullistes. Néanmoins, le RPR de Jacques Chirac doit mener campagne sans appétence (...)
En 1979, l’élection au suffrage universel du Parlement européen est une nouveauté qui ne plaît guère aux gaullistes. Néanmoins, le RPR de Jacques Chirac doit mener campagne sans appétence particulière pour l’Europe. Figurant en cinquième position sur la liste gaulliste, Louise Weiss, « citoyenne de l’Europe », est comme une caution européenne au milieu de candidats qui entendent surtout défendre les intérêts de
Mots clés : Louise Weiss ; femmes politiques ; gaullisme ; élections européennes ; Parlement européen.
The decision to elect representatives to the European Parliament through universal suffrage, starting in 1979, was a novelty that did not please the Gaullists in the least. Nevertheless, Jacques Chirac's RPR mounted a campaign despite its lack of real interest in the European election. Fifth on the Gaullist list, Louise Weiss, "citizen of Europe", ensured that the RPR could claim at least one genuine European advocate amidst candidates who intended to defend the interests of France above all. The turnstile of candidates established by the RPR showed what little importance it accorded to this vote. After managing to remain on the constantly-changing election lists of 1984 and 1989, some Gaullist women were elected but it was clear that they did not play a major role in the assembly in Strasbourg.
Keywords : Louise Weiss ; Women ; Gaullism ; European elections ; European Parliam.
Dès les années du RPF et les premiers pas de la construction communautaire des femmes gaullistes soutiennent ce processus, contre l’avis du général de Gaulle, qui les laisse néanmoins faire ce choix. C’est du moins ce que raconte Irène de Lipkovski (1898-1995), députée gaulliste, qui soutient la CECA contre l’avis du général de Gaulle : « Un jour il m’interrogea sur mes raisons de vouloir voter pour
La première élection au suffrage universel des députés européens en 1979 résulte d’un engagement du président Giscard d’Estaing. De Gaulle et Pompidou étaient très opposés à cette élection dans laquelle ils voyaient le début d’un abandon de souveraineté nationale. Sur l’Europe, l’opposition entre gaullistes et UDF est grande, voire grandissante. Le 6 décembre 1978, le célèbre « appel de Cochin », du nom de l’hôpital où Jacques Chirac est alors alité à la suite d’un accident de voiture, marque un point de non-retour. Le président fondateur du RPR y stigmatise le « parti de l’étranger », précisant quelques jours plus tard que l’on trouve des adeptes de celui-ci aussi bien dans la majorité que dans l’opposition. Ces déclarations suscitent des remous jusque dans les rangs du RPR. Alain Peyrefitte, ministre de
Dès ses premières années, le RPR n’est pas un parti où les femmes participent aisément à la vie politique. Pourtant, parmi les 81 noms de la liste proposée aux suffrages des Français pour les élections européennes de 1979, il faut bien en faire figurer un certain nombre... Les deux scrutins européens suivants (1984 et 1989) sont très difficiles pour les femmes, en particulier pour les gaullistes qui sont bien peu nombreuses à être candidates et élues sur des listes qui regroupent plusieurs partis de l’opposition.
Grâce aux archives du Centre féminin d’études et d’information (CFEI), créé en 1965 par le général de Gaulle, et d’autres fonds conservés au Centre des archives du féminisme (CAF) d’Angers, il est possible de mieux comprendre comment les femmes gaullistes ont cherché en vain à s’imposer comme candidates lors des trois premières élections européennes. La presse, la documentation du Bureau d’information à Paris du Parlement européen et des entretiens individuels réalisés au milieu des années 2000 dans le cadre d’une recherche inédite constituent les autres sources principales de cette étude [3] .
La liste du RPR intitulée Défense des intérêts de
Dans les places éligibles, en 10e position, Nicole Chouraqui-Dahan, plus jeune que les précédentes (1938-1987), incarne « une ascension politique éclair [6] . » Amie de Françoise Giroud, déçue du radicalisme et de Jean-Jacques Servan-Schreiber à l’occasion des élections municipales de Paris en 1977, elle a été attirée au RPR par Marie-France Garaud. Lors de la campagne des élections législatives de 1978, elle fait une tournée dans vingt-sept départements pour soutenir les candidats gaullistes et adhère ensuite au RPR où elle devient secrétaire générale adjointe. Jacques Chirac l’impose en bonne place sur la liste des élections européennes de 1979, « pour me renvoyer l’ascenseur », dit-elle simplement [7] .
Marie-Madeleine Dienesch (1914-1998), qui pointe au 7e rang de la liste, a au contraire sa carrière politique derrière elle. Après avoir été résistante au sein du réseau Libération Nord, elle a adhéré au MRP en 1945. C’est « l’une des rares femmes politiques à s’imposer durablement dans la vie politique française sous
Quant à la première femme sur la liste, il s’agit rien moins que de Louise Weiss (1893-1983) à qui Jacques Chirac a promis : « Vous serez notre First Lady ! », avec la garantie de figurer dans les dix première places. Finalement, elle sera 5e et donc assurée de siéger au Parlement. Compte tenu de son âge, 86 ans, il apparaît très vite qu’elle en sera la doyenne et devra prononcer la première allocution. Dès avril 1979, elle se réjouit à l’avance de ce discours : « Une volupté qu’elle ne laisserait pour rien au monde [10] … » Louise Weiss est dans la derrière partie de sa vie et reçoit récompenses, hommages, décorations et titres honorifiques. Rien que pour 1978, elle reçoit le prix Robert Schuman pour ses Mémoires d’une Européenne, et le prix de l’Europe décerné par le syndicat des journalistes et écrivains. Tous se souviennent qu’elle a dirigé
Elle-même a créé en 1971 une fondation qui porte son nom et qui décerne un prix annuel pour prolonger son action en faveur de l’unité européenne et de l’avancement des sciences de la paix ; en 1978, elle le remet personnellement au chancelier Helmut Schmidt et en 1980 au Président Anouar El Sadate, au Caire [11] . Louise Weiss apparaît en quelque sorte comme la caution européenne de Jacques Chirac, sa présence sur la liste prouvant que l’on peut être européen-ne et opposé-e aux orientations choisies pour la construction européenne. Pourtant et justement, son engagement européen, mais aussi ses combats féministes ne cadrent pas vraiment avec les options politiques et les pratiques internes du RPR. Aussi, cet atout dans le jeu de Jacques Chirac se révèle être parfois une carte encombrante car les propos de Louise Weiss peuvent brouiller le message très anti-européen de Jacques Chirac et de Michel Debré. Ne proclame-t-elle pas que « les différences entre les visions européennes du président de
Fig.1 - Bulletin publicitaire et d'abonnement de L'Europe nouvelle, papier imprimé, collection particulière. © DR.
La femme la plus importante de la campagne du RPR est en fait… Simone Veil, tête de liste UDF. Avant même le début de la campagne, Pierre Charpy dans
Avec trois femmes sur les quinze élus, le RPR a le même pourcentage d’élues que la liste menée par Simone Veil, mais nettement moins que la liste des socialistes [17] . Louise Weiss, Marie-Madeleine Dienesch – les deux députées françaises les plus âgées – et Nicole Chouraqui siègent au sein du groupe des Démocrates européens de progrès (DEP) qui rassemble les députés gaullistes et quelques Irlandais très hostiles à l’intégration européenne.
Tableau 1 - Les Françaises élues au Parlement européen en 1979 (par ordre de présentation sur les listes)
Prénom Nom |
Date de naissance |
Profession et/ou responsabilité politique |
Liste Union de |
||
Simone Veil |
1927 |
magistrate, ministre de |
Christiane Scrivener |
1925 |
chef d’entreprise, ancienne secrétaire d’État à la Consommation |
Louise Moreau |
1921 |
administratrice de sociétés, députée des Alpes-Maritimes |
Marie-Jane Pruvot |
1922 |
directrice d’école maternelle |
Simone Martin |
1943 |
Secrétaire de la chambre d’Agriculture de Haute-Marne |
Liste PS |
||
Édith Cresson |
1934 |
ingénieur en économie agricole |
Marie-Claude Vayssade |
1936 |
animatrice d’un centre de formation ouvrière |
Françoise Gaspard |
1945 |
conseillère de tribunal administratif, maire de Dreux |
Gisèle Charzat |
1941 |
enseignante |
Yvette Roudy |
1929 |
journaliste |
Yvette Fuillet |
1923 |
conseillère municipale de Marseille |
Liste Défense des intérêts de |
||
Louise Weiss |
1893 |
écrivaine, fondatrice de l’École de la Paix |
Marie-Madeleine Dienesch |
1914 |
députée des Côtes-du-Nord, ancienne ministre |
Nicole Chouraqui |
1938 |
directrice d’un centre féminin de formation |
Liste PCF |
||
Jacqueline Hoffmann |
1943 |
ouvrière soudeuse, membre du Comité central |
Danielle De March |
1939 |
conseillère générale du Var, membre du Comité central |
Sylvie Le Roux |
1946 |
adjointe au maire de Brest, chercheuse scientifique |
Henriette Poirier |
1937 |
institutrice, membre du Comité central |
Quelques jours avant la première réunion du Parlement européen nouvellement élu au suffrage universel à Strasbourg, Louise Weiss envoie à Valéry Giscard d’Estaing le texte du discours qu’elle entend prononcer [18] . Elle assure personnellement les traductions en anglais et en allemand [19] . Des proches, Andrée et
Fig. 2 - L'hémicycle européen "féminisé" (revue Euroforum), anonyme, septembre 1979, Centre des archives du féminisme, droits réservés.
À 86 ans, Louise Weiss monte à la tribune « en amoureuse de l’Europe », « pour y vivre, présidente d’un jour, un honneur dont je n’aurais pas osé rêver, et une joie – la joie la plus forte que puisse éprouver une créature au soir de son existence –, la joie d’une vocation de jeunesse miraculeusement accomplie ». Dans son long discours, elle rappelle de nombreuses étapes de l’histoire de l’Europe et évoque des grandes figures, notamment les « trois grands Karl » : Charlemagne, Karl Marx et Charles de Gaulle ! Elle fait aussi entrer dans son Panthéon européen Jean Monnet et Robert Schuman, Winston Churchill et Konrad Adenauer. Évoquant l’élection du Parlement européen, Louise Weiss fait la leçon : « Mes Européens chéris, avouez que vos campagnes électorales ont souvent paru plus lourdes d’arrière-pensées partisanes que de préoccupations européennes. » Elle insiste sur le suffrage universel qui consacre la nouvelle assemblée : « Je dis bien le suffrage universel, car les femmes y ont eu la part de plein droit qui leur revenait », et elle « salue chaleureusement celles qui se trouvent parmi nous, conscientes, sans esprit de ségrégation, de la tâche qui les attend ». Quant à l’avenir de l’Europe, pour Louise Weiss, il se résume à trois problèmes cruciaux : l’absence trop grande encore d’identité européenne, la dénatalité (« au train où vont les couples, il n’y aura plus d’Européens bientôt »), et les droits de l’homme. La doyenne termine « cette allocution si peu conforme aux usages », en mettant tout son espoir dans le Parlement européen [22] .
Globalement la presse française et européenne salue la performance de Louise Weiss. Des témoins se souviennent du discours de la doyenne des députés comme d’un moment fort de la séance inaugurale. Recevant le prix Louise Weiss en 1988, Jacques Delors se souvient de la joie qui rayonnait sur son visage lorsqu’elle a appelé à la réinvention de l’Europe plurielle et solidaire et à l’émergence d’une Europe des citoyens [23] . En revanche, Simone Veil n’évoque pas ce discours qui pourtant précède immédiatement son élection comme présidente du Parlement européen. Les relations entre les deux Françaises, aussi courtoises et respectueuses soient-elles, sont assez tendues depuis le débat de la loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Le jour même de la séance inaugurale à Strasbourg, paraît une interview de Louise Weiss dans Le Matin. Elle répète qu’elle est opposée à l’avortement et n’est pas d’accord avec
Après le discours inaugural de Louise Weiss, dont la portée est essentiellement symbolique, sur le plan politique les choses sérieuses débutent avec l’élection à la présidence du Parlement. Elle se fait par vote secret, la majorité absolue des suffrages exprimés est nécessaire pour les trois premiers tours ; au (dernier) tour suivant, la majorité simple est suffisante. Outre Simone Veil, se présentent le communiste Giorgio Amendola et le socialiste Mario Zagari. In extremis, deux autres candidats se présentent : un-e troisième Italien-ne,
Fig. 3 - Louise Weiss transmet les pouvoirs à Simone Veil au Parlement européen, 17 juillet 1979, anonyme. © Médiathèque de la Fondation Jean Monnet pour l'Europe, Lausanne.
Afin de montrer le peu de cas qu’il fait des mandats européens, le RPR a institué le « tourniquet » : les élus ne siègeront que pendant une année et laisseront ensuite la place à leurs co-listiers situés derrière eux. Ainsi, Nicole Chouraqui et Marie-Madeleine Dienesch ne siègent que de juillet 1979 à octobre 1980. Le système a pour effet de multiplier les mandats d’un an et donc le nombre d’élu-e-s. Si les élues de juin 1979 font les frais du « tourniquet », d’autres femmes placées assez loin sur la liste accèdent au Parlement européen comme par exemple Magdeleine Anglade (33e position) qui siège à Strasbourg en 1982-1983. Seule Louise Weiss, à qui le RPR ne peut pas imposer quoi que ce soit, refuse le « tourniquet » qui déconsidère l’élection au suffrage universel et empêche tout réel investissement de la part des élu-e-s. Elle demeure députée européenne jusqu’à sa mort en 1983.
Les élections de 1984 et de 1989 sont très difficiles pour les Françaises qui se sont beaucoup investies au Parlement européen. Les élues de droite doivent non seulement être capables de convaincre les appareils qu’elles ont le droit de retourner au Parlement après y avoir bien travaillé – ce qui est également le cas pour les socialistes – mais elles doivent en plus faire face à une concurrence des hommes défaits lors des élections législatives de 1981 et de 1988. Ce contexte explique que bien peu de femmes gaullistes participent à ces deux élections européennes.
Marie-France Garaud, qui a été candidate à l’élection présidentielle de 1981 et qui a fondé un Institut de géopolitique en 1982, renonce à participer aux élections européennes de 1984 parce qu’elles « se présentent non comme un débat européen, sauf peut-être pour Simone Veil, mais comme un sondage grandeur nature sur le poids des partis politiques en France ». Au nom de la souveraineté de
Comme l’indique Marie-France Garaud, Simone Veil entend mener une campagne véritablement européenne, mais l’union de l’opposition qui s’est imposée face à la majorité implique une forte dimension nationale. En février, elle affirme que la « liste unique permet bien davantage de faire passer le message européen », ce dont on peut évidemment douter après les positions des élus RPR au Parlement européen pendant la première législature [29] . Et effectivement, Simone Veil apparaît un peu comme l’otage politique du RPR dans cette campagne, tandis que le Front national la présente comme étant une femme de gauche...
En 1984, elle attaque le gouvernement de gauche, appelle à voter utile, stigmatise les petites listes et finalement parle peu d’Europe, en tout cas avec prudence. L’entrée de l’Espagne ? Elle serait « prématurée » car « admettre un pays dont on sait que la venue coûtera cher, c’est une imprudence » ; autant dire qu’elle adopte la position du RPR de Jacques Chirac. Ce « mimétisme chiraquien » est dénoncé jusqu’à l’UDF, notamment par François Léotard, et apparaît à certains comme un chemin de Damas.
Les gaullistes ont choisi de donner un second mandat à Nicole Chouraqui, victime du « tourniquet » dès 1980. À la 10e place, elle est la deuxième femme de
Au soir du 17 juin, 17 femmes sont élues députées européennes, une de moins qu’en 1979, mais les Françaises demeurent les plus nombreuses juste devant les Allemandes (16). La détermination des femmes à figurer à des places éligibles sur les listes, notamment à gauche, a été payante.
Tableau 2 - Les Françaises élues au Parlement européen en 1984 (par ordre de présentation sur les listes)
Prénom Nom |
Date de naissance |
Antécédents européens |
Liste de l’Union de l’Opposition |
||
Simone Veil |
1927 |
Élue en 1979, Présidente du Parlement 1979-1982 Présidente de la commission juridique 1982-1984 |
Nicole Chouraqui (RPR) |
1938 |
Élue en 1979, députée européenne 1979-1980 |
Nicole Fontaine |
1942 |
|
Anne-Marie Dupuy (RPR) |
1920 |
|
Christiane Scrivener |
1925 |
Élue en 1979, députée européenne 1979-1984 ; rapporteur du budget pour 1984. |
Magdeleine Anglade (CNI) |
1921 |
Députée européenne 1982-1983 |
Jacqueline Thome-Patenôtre |
1906 |
Membre de l’Assemblée 1958-1959 |
Simone Martin |
1943 |
Élue en 1979, députée européenne 1979-1984 |
Liste PS |
||
Nicole Péry |
1943 |
Députée européenne 1981-1984 |
Gisèle Charzat |
1941 |
Élue en 1979, députée européenne 1979-1984 |
Yvette Fuillet |
1923 |
Élue en 1979, députée européenne 1979-1984 |
Marie-Claude Vayssade |
1936 |
Élue en 1979, députée européenne 1979-1984 |
Colette Gadioux |
19-- |
|
Marie-Noëlle Lienemann |
1951 |
|
Liste PCF |
||
Danielle De March |
1939 |
Élue en 1979, députée européenne 1979-1984, vice-présidente du Parlement |
Jacqueline Hoffmann |
1943 |
Élue en 1979, députée européenne 1979-1984 |
Liste Front national |
||
Martine Lehideux |
1933 |
Globalement, les femmes consolident leur place au Parlement européen : elles étaient 71 sur 434 [31] à la fin de la première législature, elles sont 75 au début de
Les troisièmes élections européennes au suffrage universel de juin 1989 n’ont plus le caractère pionnier des deux premières éditions. Autre différence, situées un an après l’élection présidentielle et les élections législatives de 1988 et juste dans la foulée des élections municipales de mars 1989, elles sont loin de toute échéance nationale importante. En 1989, ne croyant plus « à la dynamique de l’union » comme en 1984, Simone Veil souhaite une liste au centre, « la plus large possible » et ouverte aux rénovateurs de la droite [33] . Après bien des tractations et des difficultés autour de sa personne, Simone Veil prend la tête d’une liste CDS [34] , avec quelques rénovateurs, mais qui finalement se révèle assez étriquée face à une liste UDF-RPR conduite par Valéry Giscard d’Estaing et Alain Juppé dans laquelle il faut bien chercher les femmes en position éligible. Parmi les 16 femmes de la liste, seules Michèle Barzach et Michèle Alliot-Marie en 4e et 6e places sont sûres d’être élues.
Seule femme ministre du gouvernement Chirac de cohabitation (1986-1988) avec le portefeuille de
Fig. 4 - Michèle Barzach à la une de Paris-Match, n° 1982, 22 mai 1987.
Six listes obtiennent assez de suffrages pour avoir des députés à Strasbourg contre quatre lors des deux scrutins précédents [35] . Plus que la division de la droite sur deux listes, l’élément nouveau de cette élection est l’arrivée d’une importante délégation des Verts français au Parlement. Délégation comprenant près de la moitié de femmes. Comme le laissait prévoir la composition des listes, avec 18 élues, le scrutin européen de 1989 égale tout juste celui de 1979 pour le nombre de femmes parmi les députés européens français. Le RPR n’a que deux élues, comme en 1984.
Tableau 3 - Les Françaises élues au Parlement européen en 1989 (par ordre de présentation sur les listes)
Prénom Nom |
Date de naissance |
Antécédents européens |
Liste PS |
||
Catherine Trautmann |
1951 |
|
Nicole Péry |
1943 |
Députée européenne 1981-1984 ; élue en 1984, première vice-présidente en 1987 |
Martine Buron |
1944 |
Députée européenne depuis 1988 |
Marie-Claude Vayssade |
1936 |
Élue en 1979 et en 1984, députée européenne 1979-1989, présidente de la commission juridique 1987-1989 |
Marie-Jo Denys |
1950 |
|
Nora Zaïdi |
1965 |
|
Liste des Verts |
||
Solange Fernex |
1934 |
|
Claire Schlecht-Joanny |
1951 |
|
Marie-Christine Aulas |
1945 |
|
Djida Tazdaït |
1957 |
|
Liste PCF |
||
Sylviane Einardi |
1948 |
|
Sylvie Mayer (Le Roux) |
1947 |
Élue en 1979, députée européenne 1979-1984 et depuis 1986 |
Mireille Elmalan |
1949 |
|
Liste du centre |
||
Simone Veil |
1927 |
Élue en 1979 et en 1984, Présidente du Parlement 1979-1982, Présidente de la commission juridique 1982-1984 |
Nicole Fontaine |
1942 |
Élue en 1984, députée européenne 1984-1989 |
Liste UDF-RPR |
||
Michèle Barzach (RPR) |
1943 |
|
Michèle Alliot-Marie (RPR) |
1946 |
|
Liste Front national |
||
Martine Lehideux |
1933 |
Élue en 1984, députée européenne 1984-1989 |
Michèle Alliot-Marie siège dans des commissions importantes : commission politique et commission des Affaires étrangères et de Sécurité qui lui permettent d’acquérir une certaine compétence dans des domaines plutôt considérés comme masculins. Cela lui permet d’acquérir une expérience qu’elle met à profit en tant que secrétaire générale adjointe du RPR chargée des Affaires étrangères (1990-1993). En même temps elle est députée de la 6e circonscription des Pyrénées-Atlantiques, ce qui ne facilite pas son engagement à Strasbourg. En mars 1993, elle démissionne de son mandat, venant d’être réélue députée et surtout nommée ministre de
Pour Michèle Barzach, le mandat sera de courte durée. D’après Le Nouvel Observateur, dès l’élection, Jacques Chirac, président du RPR, téléphone à Michèle Barzach et lui intime l'ordre de démissionner immédiatement afin qu'un de ses amis, moins bien placé sur la liste, puisse siéger à Strasbourg. Elle démissionne le 3 novembre 1989 et est remplacée par le suivant sur la liste, Aymeri de Montesquiou- Fezensac. Après son échec à entrer au conseil national du RPR, elle déclare : « Je suis une femme qui dérange. Mais je crois surtout que je paie là mon combat pour l’union de l'opposition, pour cette force unique que réclament huit sur dix de nos électeurs. » Jacques Chirac, rappelle, quelque peu agacé : « Elle me doit sa carrière […] J’en ai fait mon ministre de
Élues éphémères de la première législature en raison de l’application du « tourniquet » (1979-1984) ; femmes incarnant le gaullisme issu de la Résistance ; femmes isolées car peu nombreuses et soucieuses de leur carrière politique en France, voici une courte typologie des élues gaullistes au Parlement européen lors des trois premières élections européennes au suffrage universel. Pourtant le mode de scrutin avec listes nationales était propice à laisser, sinon à encourager, les femmes accéder à une fonction politique moins courue par les hommes que les mandats nationaux. Mais les aléas de la vie politique et les échecs électoraux des gaullistes (1981 et 1988) ont fait du Parlement européen un sanctuaire où panser les plaies de la défaite et d’où pouvait partir une reconquête.
Hormis la personnalité exceptionnelle de Louise Weiss, qui siège à Strasbourg de 1979 à 1983, aucune autre élue portant l’étiquette « gaulliste » ne s’est imposée au Parlement européen pendant les trois premières législatures. À la différence d’une Simone Veil, d’une Nicole Fontaine ou d’une Nicole Péry (PS). Sans doute leur destin politique européen individuel était-il forcément lié au positionnement du RPR sur les questions européennes.
Pour citer cet article : Yves Denéchère, « Louise Weiss et quelques autres : candidates et élues gaullistes au Parlement européen (1979-1989) », Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 17, mai-août 2012, www.histoire-politique.fr
[1] Andrée Dore-Audibert et Annie Morzelle, Irène de Lipkowski, le combat humaniste d’une Française du XXe siècle, Laval, Siloë, 1998, p. 163-164.
[2] Marie-France Garaud, La fête des fous. Qui a tué la Ve République ?, Paris, Plon, 2006.
[3] Yves Denéchère, Ces Françaises qui ont fait l’Europe, Paris, Audibert, 2007.
[4] Centre des archives du féminisme, Angers, fonds 9 AF Femme Avenir, notamment 9 AF 8 sur Christiane Papon et 9 AF 37 : Caroline Corren, CFEI Femme Avenir : un progrès vers une meilleure représentation politique féminine ?, IEP Grenoble, direction de Maurice Croisat et Dominique Labbé, 1991.
[5] Le Figaro Magazine, 13 avril 1979, « Neuf Françaises pour l’Europe des Neuf », portrait de Noëlle Dewavrin.
[6] Ibid., portrait de Nicole Chouraqui.
[7] Thierry Desjardins, Les Chiraquiens, Paris, La Table ronde, 1986, p. 261-272. Nicole Chouraqui est la seule femme parmi les seize chiraquiens présentés.
[8] Christian Bougeard, « Marie-Madeleine Dienesch : une carrière politique féminine méconnue », Clio, n° 8, 1998, p. 235-248.
[9] Elle est la deuxième femme nommée ambassadeur après Marcelle Campana en 1972, voir Yves Denéchère, « Les ambassadrices : des femmes dans un territoire d’hommes », dans
[10] «
[11] «
[12] Le Monde, 14 avril 1979.
[13]
[14] « Club de la presse » d’Europe n° 1, dimanche 22 avril 1979 ; Le Monde, 24 avril 1979, « Mme Veil souhaite que sa liste recueille 30 % des suffrages ».
[15] L’Aurore, 12 avril 1979, «
[16] Meeting du parc de Bagatelle, Paris, 2 juin 1979.
[17] La liste de Simone Veil est arrivée en tête avec 27,6 % des suffrages (25 élus), devant la liste socialiste (23,5 %, 22 élus) et la liste communiste (20,5 %, 19 élus). La liste du RPR obtient quant à elle 16,3 % des suffrages et 15 sièges.
[18] Archives nationales, Archives du président Giscard d’Estaing, 5 AG 3 / JR 8, élections européennes de 1979, correspondance, lettre de Louise Weiss à Valéry Giscard d’Estaing, 9 juillet 1979
[19] Le Figaro, 17 juillet 1979, « Lever de rideau à Strasbourg ».
[20] Andrée et
[21] Louise Weiss, Mémoires d’une Européenne, tome II : Combats pour l’Europe 1919-1934, Paris, Albin Michel, 1979.
[22] Texte intégral du discours de Louise Weiss, dans Louise Weiss l’Européenne, op. cit., p. 481-502 ; Nombreux extraits dans Le Monde, 18 juillet 1979, « Mme Weiss appelle les parlementaires "à se saisir des problèmes cruciaux : identité européenne, natalité et droits de l’homme" ».
[23] Louise Weiss l’Européenne, op. cit., p. 399 et entretien de l’auteur avec Jacques Delors le 1er février 2005.
[24] Elle renouvelle ses critiques à l’égard de
[25] Libération, 18 juillet 1979.
[26] Entretien de l’auteur avec Simone Veil le 19 mars 2003.
[27] France Inter, 18 juillet 1979.
[28] Libération, 8 décembre 1983 ; Le Matin, 9 décembre 1983.
[29] Le Quotidien de Paris, 9 février 1984, « Simone Veil, une campagne à la fois nationale et européenne ».
[30] Anne-Marie Dupuy, Le destin et
[31] Il faut ajouter aux 410 députés en 1979 les 24 représentants de
[32] La liste socialiste a recueilli 20,7 % des voix (20 sièges), la liste communiste 11,2 % (10 sièges) et la liste du Front national 10,95 % (10 sièges).
[33] TF1, 24 mars 1989, « Questions à domicile » ; Le Figaro, 25 mars 1989, « Simone Veil pour une liste du centre ».
[34] Le Figaro, 24 avril 1989, « Simone Veil réussit son examen de passage ».
[35] La liste d’Union UDF-RPR a obtenu 28,9 % des voix (26 élus) devant la liste socialiste (23,6 %, 22 élus), la liste du Front national (11,7 %, 10 élus) et la liste des Verts (10,6 %, 9 élus). La liste du centre conduite par Simone Veil arrive en cinquième position avec 8,4 % des voix et 7 élus. Les communistes ont également 7 élus avec 7,71 % des suffrages.
[36] Journal du Dimanche, 18 février 1990, Le Monde, 20 février 1990.
[37] Michèle Barzach, Vérités et tabous, Paris, Seuil, 1994.
Yves Denéchère est professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Angers-UMR CERHIO. Un de ses axes de recherche porte sur l’engagement européen des femmes politiques françaises. Il a notamment publié Ces Françaises qui ont fait l’Europe (Paris, Audibert, 2007).