Le 1er octobre 2013, la Commission du centenaire présidée par Antoine Prost rendait un rapport au président de la République concernant les fusillés français de
Le visiteur est accueilli par des silhouettes d’hommes sur fond noir, des fusillés. Intitulée « Les fantômes de la République », cette première œuvre renvoie directement au titre programmatique de l’exposition. Elle annonce la présence constante, même en creux, de ces hommes dans la mémoire collective depuis
L’exposition plonge tout d’abord dans l’univers de la guerre de tranchée abordée sous l’angle du caractère industriel de
La seconde partie est axée sur la mémoire et le traitement politique et artistique des fusillés, de l’après-guerre à nos jours. Elle tourne autour d’une installation centrale. Un espace fermé et blanc : au centre, un poteau transparent en plexiglas sur lequel tournent des noms de fusillés. Il est proposé au visiteur de s’arrêter sur le travail de Chloe Dewe Mathews, Shot at Dawn, des clichés contemporains de lieux à l’aube où ont été fusillés des soldats britanniques et français. Le lien passé-présent est alors très fort, les titres des clichés correspondent aux dates des exécutions qui ont eu lieu dans le paysage photographié. Ce chemin mémoriel mène à la question de la réhabilitation des soldats fusillés. Les fusillés n’ont jamais été un tabou en France. Les anciens combattants ainsi que des associations comme la Ligue des droits de l’homme ont soutenu des causes de fusillés dès l’immédiat après-guerre. Les arts, dès l’entre-deux-guerres, puis dans les années 1950 notamment avec le film Les sentiers de la gloire de Stanley Kubrick, ont participé au « rejeu » mémoriel autour des fusillés, selon l’expression de Nicolas Offenstadt. La question des fusillés reste actuelle, que ce soit en France ou à l’étranger comme au Royaume-Uni. Elle reste un enjeu mémoriel, dans lequel s’est investi le politique à différents niveaux aussi bien local que national. Faut-il réhabiliter l’ensemble des fusillés ? Comment entretenir localement la mémoire de ces hommes et plus largement intégrer le phénomène des exécutions dans les parcours de tourisme mémoriel ? Les fusillés restent également un terreau de réflexion et de travail chez les artistes, sculpteurs, plasticiens ou photographes contemporains. Ils font partie du quotidien des familles qui ont dû vivre avec ce stigmate. C’est encore un vaste champ d’étude pour les chercheurs. En guise d’ouverture plus que de conclusion, le lien entre histoire et mémoire est directement questionné en laissant la parole à l’historien Laurent Avezou et aux visiteurs.
Cette exposition prend à bras le corps un sujet complexe et a le mérite de le traiter en profondeur. Le but affiché et, à mon sens, réussi de ce projet, est d’aller par-delà les idées reçues et les amalgames concernant les fusillés. Le parcours proposé est celui d’une réflexion. Il décortique la question des fusillés en rendant palpable ses enjeux historiques, historiographiques et mémoriels. Dense, elle n’en reste pas moins accessible à un très large public jeune ou profane. En effet, son plus grand mérite réside dans sa clarté et son réel souci de contextualisation des faits présentés. Elle s’appuie sur les dernières avancées historiographiques et laisse largement la parole aux spécialistes des questions traitées, comme par exemple les bagnes militaires par Valériane Milloz.
Le fond est soutenu par une démarche muséale audacieuse. L’exposition se veut à la croisée de l’Histoire, de la mémoire et de l’art. La muséographie est originale parce qu’elle place le visiteur au cœur des installations artistiques. La première salle fait déambuler le visiteur dans un décor aux lignes cassées, dont la mise en scène pose une ambiance de chaos. On retrouve ce procédé à plusieurs reprises. Une installation met en joue le visiteur par six fusils avec en toile de fond un drapeau français. Devons-nous nous placer dans la peau des soldats pour comprendre leur situation ? Faire appel à une mise en scène est-il simplement un moyen de ne pas alourdir le parcours en description et explication ? En fin d’exposition, la place est laissée aux artistes qui ont investi le champ des fusillés de
Au-delà des fusillés, c’est une réflexion sur l’histoire et la mémoire que nous propose cette exposition. Elle soulève la question de la construction et de la prégnance des mythes, de l’utilisation sociale et politique de l’histoire et du rôle des historiens professionnels ou amateurs dans l’élaboration d’un discours sur le passé.
Dans une démarche plus pédagogique que dénonciatrice des horreurs de la guerre, dont les fusillés pour l’exemple, ces fantômes de la République, constitueraient un pan, cette exposition ne porte pas de jugement mais cherche à comprendre.