Parmi les gauches révolutionnaires, la IVe Internationale accorde une place essentielle à la subjectivité, à la capacité d’agir des protagonistes, bref à un marxisme humaniste. Au cours de l’immédiat après-1968, dans les courants communistes révolutionnaires, la conviction est forte que la révolution est imminente ou en tout cas qu’elle surgira à moyen terme, dans cinq ou dix ans en Europe. Mais au fil des années 1970, cette espérance s’amenuise et se fragilise. À partir des archives de la IVe Internationale, peu ou pas explorées, cette contribution revient sur la culture politique d’une organisation internationale et ses pratiques militantes qui s’appuient sur l’examen de la situation sociale, économique et politique, la stratégie à mettre en œuvre et le programme pour une société alternative au capitalisme et à l’économie de marché.
Au sein du large spectre de courants qui existent aux marges du champ politique dans les années 1970, l’autonomie constitue un phénomène spécifique. La plupart de ses composantes se revendiquent d’une certaine continuité avec le « soulèvement mondial de la jeunesse » de 1968. Mais elles s’affirment dans le même temps comme en rupture avec l’événement, entretenant avec celui-ci et son héritage une relation contradictoire et antagoniste. À cela s’ajoute que cette décennie constitue un moment charnière de l’histoire des autonomes, alors que les différents mécanismes qui participent de l’effacement des offres politiques classiques s’agrègent à des processus de développement de cultures politiques hétérodoxes, à la mise en place de réseaux de communications et d’échanges internationaux, à l’émergence d’un phénomène profond et de rejet des formes d’organisations et des pratiques politiques traditionnelles à l’échelle de toute l’Europe. Dès l’origine, l’autonomie apparaît comme un phénomène transnational. S’il est difficile de l’ériger en culture politique à part entière en raison de son absence d’unité doctrinale et des conflits qui la traversent, elle participe néanmoins de la construction d’une identité collective qui s’affirme à la fin des années 1970.
Au tournant de la décennie 1970, la culture dite de « deuxième gauche » se nourrit d’échanges entre politiques et syndicalistes français et italiens. Ces échanges conduisent à renouveler le socialisme défendu par cette gauche non communiste, en l’appuyant sur le « contrôle ouvrier » et les luttes de la base. Le réseau à la source de ces échanges s’est en fait dessiné bien plus tôt mais il devient visible dans le contexte de l’après-1968. Si les échanges semblent diminuer rapidement, en raison de contingences nationales mais aussi du fait de divergences entre partis et syndicats, leur influence se prolonge dans la deuxième partie de la décennie au niveau syndical. Les réflexions partagées entre CFDT et CGIL autour de « l’austérité négociée » participent au recentrage de la confédération française.
Le « contrôle ouvrier » a mobilisé des syndicats, des associations et des intellectuels en France, en Grande-Bretagne, en Belgique et en Italie, de la fin des années 1950 au milieu des années 1970. Pouvant faire référence à la fois aux conseils ouvriers et à la démocratie industrielle, il a été une expression de mutations sociétales et de nouvelles exigences politiques. Ravivé par les grèves et les luttes sociales des années 1968, il a suscité un imaginaire politique de démocratie directe avant d’être relayé par l’autogestion ou de disparaître.
L’histoire de l’autogestion en Belgique a été très peu étudiée. Or, il ne s’agit nullement d’un sujet marginal ou d’un événement éphémère. Cette histoire est parsemée d’expériences d’une ampleur et d’une durée de vie hors du commun. Alors que le thème autogestionnaire s’érode rapidement à la fin des années 1970, les expériences belges se poursuivent jusqu’à la fin de la décennie suivante. L’histoire du « Balai libéré » est représentative des particularités de l’autogestion belge. Le récit d’une trentaine de femmes de ménage qui licencient leur patron pour lancer leur autogestion en compagnie de militants de la démocratie chrétienne est devenu l’un des emblèmes souvent cités mais jamais étudiés de l’histoire politique et sociale belge.