Dans le cadre de la commémoration du centenaire de
Si, dès 1925, Pierre Renouvin a étudié Les formes du gouvernement de guerre, puis Guy Pedroncini les relations entre le gouvernement et le commandement militaire en 1917 [1] , Jean-Noël Jeanneney souligne, en ouverture du colloque, que le rôle du Parlement dans un conflit long, revisité en 2008 par
Cependant, le rassemblement de la sensibilité nationale à l'été 1914 voit le gouvernement consentir à la délégation de ses pouvoirs sur les préfets des zones de combat à un Cincinnatus, Joffre. Mais le contrôle parlementaire est réactivé par les grandes commissions, dont Abel Ferry à la Chambre, Clemenceau au Sénat, incarnent la vigueur. Dans De la discorde chez l'ennemi (Berger-Levrault, 1924), de Gaulle voit dans l'abandon des pouvoirs du Kaiser au Commandement le drame de l'Allemagne, et dans sa défaite, « la revanche des principes outragés ».
Auteur de la thèse pionnière sur le sujet, Fabienne Bock évoque « l'activité du parlement français en guerre », mais confirme l'impréparation et l'absence de disposition préalable par crainte de donner une impression de bellicisme [4] . Les obligations militaires des parlementaires français ne sont pas examinées lors du vote de la loi des trois ans, de peur de stimuler l'antiparlementarisme. Les rapports entre pouvoirs civils et militaires sont quant à eux réglés par une formule laconique qui sépare la conduite de la guerre de la direction des opérations. Une improvisation pragmatique l'emporte par l'espoir d'une guerre courte, et l'élan d'unanimité nationale, incarné par la visite de Barrès à la veuve de Jaurès, cimente les ajustements fonctionnels. L'ajournement des chambres laisse le gouvernement libre de se remanier sans passer par un vote, alors que son transfert à Bordeaux laisse le pouvoir de décision aux mains du Grand quartier général (GQG), constituant la « dictature de Chantilly ». Si les parlementaires sont mobilisables, les 235 députés appelés sous les drapeaux sont confinés à des tâches peu glorieuses au sein de la Territoriale ou de la Réserve, parfois dans leur circonscription, ce qui conduit Millerand à les promouvoir d’office au grade de sous-lieutenant.
Le rôle inédit des grandes commissions et le recours aux comités secrets remettent en 1915 le Parlement au centre de la vie politique. La plupart des députés choisissent leur mandat parlementaire, mais une soixantaine continue le combat, et ce va-et-vient du Front à la Chambre irrigue le courant d’informations. En dépit des députés morts au combat ou retenus en otages dans le Nord, le Parlement perd la bataille de l’opinion en échouant à transformer en popularité pour l’après-guerre son attitude plus qu’honorable.
Le droit du Parlement à se réunir est défendu en janvier 1915 par six éditoriaux de Clemenceau. Les tractations menées avec le gouvernement aboutissent à un modus vivendi qui conforte le droit des parlementaires à siéger sans discontinuer, à condition de ne pas interpeller le gouvernement en séance publique. Ce sont les grandes commissions qui convoquent les ministres, les somment de faire produire des matériels modernes et obtiennent le droit d’aller contrôler sur place. Mais les parlementaires de base se plaignent d’une distorsion d’information, d’où le recours aux comités secrets.
Évoquant la figure de « Georges Clemenceau : le Tigre au Sénat »,
Analysant « le Parlement face à l'exécutif »,
L’intervention de Pierre Allorant est consacrée à un proche de Clemenceau, « Jules Jeanneney. Un "sénateur sur le pied de guerre" », déterminé, dans l’exercice de ses mandats, à contribuer activement au succès de la mobilisation de l’arrière et de l’utilisation du matériel et des troupes sur le front. Ce patriote radical harcèle les ministres, exige que la commission de l'Armée soit informée dans les détails et déplore la passivité du pouvoir civil face aux prétentions du GQG. Briand et Joffre sont les cibles favorites d'attaques nourries par des visites d'usines, des missions sur le front et des enquêtes pour débusquer les « nids d'embusqués » dont la Maison de la Presse [8] . Son activisme est indissociable de la marche de Clemenceau vers le pouvoir : la complicité de leur tandem parlementaire prépare leur binôme exécutif, le sous-secrétariat d'État à la Guerre fonctionnant comme un secrétariat général à la présidence du Conseil.
Mario di Napoli aborde « le Parlement italien en guerre » sous l'angle de la crise parlementaire italienne, la délégation législative du domaine de la Guerre pour protéger les intérêts vitaux de la nation. L'activité parlementaire redevient plus intense à partir de 1916, avant le dépôt d'une motion de censure qui coïncide avec le désastre de Caporetto ; l'arrivée d'Orlando se traduit par l'institution d'un comité interministériel pour la conduite de
« Le Parlement britannique en guerre », étudié par Paul Smith, se focalise surtout sur le débat autour de l'autonomie irlandaise à l’occasion duquel les Lords ont osé voter contre le budget en 1909, entraînant la sanction de la réforme constitutionnelle de 1910 les privant de leur droit de véto. Le Premier ministre Asquith demande deux fois au roi de dissoudre les Communes afin de surmonter le risque d’une majorité étriquée. Les conservateurs sont hostiles au « Home Rule » irlandais, d'où un gouvernement minoritaire et un fossé accru entre « front » et « back-benchers », leaders et députés de base, avec une faible discipline de vote qui aggrave l'instabilité gouvernementale. À partir de 1916, le Premier ministre Lloyd George, à la tête d'un cabinet réduit à cinq membres, se rend rarement au Parlement ou devant les comités, et des commissions ad hoc se consacrent à la vérification des dépenses nationales. La commission des exonérations met à jour des scandales au moment des mutineries en France.
Analysant les spécificités du « Parlement allemand en guerre », Nicolas Patin remet en cause la « légende noire » d’un Reichstag soumis à la dictature d'Hindenburg et de Ludendorff, contrastant avec la résilience parlementaire française. Les stéréotypes masquent la modernité du Kaiser Reich et de
Tirant les premières conclusions de ce colloque dont les actes seront prochainement publiés chez Garnier [10] ,
[1] Guy Pedroncini « Les rapports du gouvernement et du haut commandement en France en 1917 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, janvier-mars 1968, p. 122-132.
[2] Fabienne Bock (dossier coordonné par), « La guerre des mots. 14-18 dans les parlements européens », Parlement(s), décembre 2008, n° 10. Voir également Anne-Laure Anizan, « 1914-1918, le gouvernement de guerre », Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 22, janvier-avril 2014
[3] Jean-Noël Jeanneney,
[4] Fabienne Bock, Un parlementarisme de guerre. 1914-1919, Paris, Belin, 2002.
[5]
[6]
[7] Léon Blum, « Lettres sur la réforme gouvernementale », La Revue de Paris, 1er janvier 1918, p. 153.
[8] Charles Ridel, Les embusqués, Paris, Armand Colin, 2007. Sur les archives familiales évoquant le rôle du sénateur Jeanneney, voir Jacques Resal et Pierre Allorant, Femmes sur le pied de guerre. Chronique d'une famille bourgeoise. 1914-1918, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2014.
[9] Nicolas Patin (dossier coordonné par), « Un parlementarisme allemand ? », Parlement(s), n° 21, juin 2014.
[10] Les différentes contributions du colloque peuvent être visionnées sur le site du Sénat : http://videos.senat.fr/video/videos/2014/video23429.html [lien consulté le 10 juillet 2014].