Cet article examine le rituel du serment de fidélité instauré au sein de la SS (Schutzstaffel) entre 1934 et 1945, l’utilisant comme un prisme de lecture qui permet de mieux comprendre les racines idéologiques du nazisme, certains des rouages du pouvoir au sein du « Troisième Reich », ainsi que certains des aspects de la postérité de celui-ci. Une première partie examine les racines de la pratique du serment, à la croisée de la tradition monarchique et militaire, de la mythopoétique nationaliste à l’origine de l’idée d’une « fidélité germanique », et du répertoire militant de la droite radicale des années 1920. Un second mouvement analyse les fonctions que remplissaient au sein du système national-socialiste le serment de fidélité de la SS et la cérémonie qui l’accompagnait : outil renforçant la cohésion des institutions nazies ; élément de la concurrence polycratique entre elles ; rouage permettant l’exercice d’un pouvoir délivré des limites et médiations normatives ou bureaucratiques caractéristiques du fonctionnement réglé de l’État ; « acte d’institution » permettant au groupe d’imposer à ses membres une identité sociale et d’intérioriser le modèle normatif prescrit par l’institution. Une attention particulière est également apportée aux évolutions du serment entre 1941 et 1945, la militarisation de la SS et l’internationalisation de son recrutement ayant conduit à des accommodements destinés à préserver le consentement d’une troupe de plus en plus hétérogène. Enfin, dans un troisième temps, sont étudiées la place du serment à l’heure de l’effondrement du régime nazi puis de sa postérité.
Cet article explore la signification politique de la conjoncture exceptionnelle du serment de loyauté national-socialiste, qui a abouti à de nombreuses cérémonies de prestation de serment. Il se concentre sur la dimension rituelle de la prestation de serment, examinée comme un exemple d’une politique national-socialiste de l’émotion. Le serment a servi de mobilisation idéologique de la société allemande au sens de production de loyauté politique ayant trouvé une large résonance sociale.
La question du serment s’avère essentielle pour les libéraux du Vormärz, c’est-à-dire la période de 1830 à 1848. Les libéraux en Allemagne envisagent d’intégrer les armées allemandes dans un système de monarchie constitutionnelle et non plus « absolutiste ». Les militaires devaient-ils prêter serment sur la constitution, et non plus sur le prince ? Cent ans plus tard, dans les années 1930 et 1940, le débat du Vormärz a été repris par deux historiens nationaux-socialistes, Reinhard Höhn et Ernst Rudolf Huber. Ce débat historique leur sert d’exemple pour déterminer quelle nature juridique devrait avoir l’État populaire (Volksstaat) nazi avec le Führer comme autorité suprême (question fortement débattue dans les cercles juridiques autour de Carl Schmitt). Entre 1938 et 1944, en pleine guerre mondiale, les deux historiens se livrent à une polémique sur la place du serment des militaires entre la période des réformateurs prussiens (fin des guerres napoléoniennes) et 1848 et la nature des concepts étatiques des libéraux. In fine, les deux historiens nationaux-socialistes arrivent au même résultat, à savoir que la question a été résolue de façon définitive par le serment sur la personne de Hitler, le Führereid.
« Soyons braves comme le souhaite notre Führer. » Voici ce qu’écrivait H.D. à son amie en septembre 1939. Les correspondances des soldats de la Wehrmacht nous ouvrent des perspectives de recherche sur les rapports que ceux-ci entretenaient avec Hitler. Au début de la guerre, la figure de Hitler s’impose comme une personnification de la patrie, du peuple allemand et du foyer. Au fur et à mesure que la guerre s’enlise, Hitler demeure ce lien ténu entre le front et l’arrière, mais l’amertume effrite l’engouement des premières victoires. Les années 1944-1945, le noyau Hitler-patrie-famille se délite, le « nous » collectif sombre, à la faveur de la famille, concentrant toutes les inquiétudes.
L’article analyse la conception du serment de fidélité du nazi autrichien Ernst Kaltenbrunner (1903-1946), qui fut le successeur de Heydrich à la tête du Reichssicherheitshauptamt à partir du 30 janvier 1943. Ce haut dignitaire du régime, condamné à mort en 1946 lors du procès de Nuremberg, est moins étudié que d’autres criminels nazis. L’article examine dans un premier temps la manière dont Kaltenbrunner érige le serment de fidélité au Führer en valeur suprême du combattant nazi, dans ses rapports secrets consacrés à l’enquête de police diligentée après l’attentat manqué contre Hitler du 20 juillet 1944. Dans un second temps, l’article revient sur la trajectoire en amont de Kaltenbrunner au sein du parti nazi autrichien, notamment durant la période « illégale » où celui-ci fut interdit entre le 19 juin 1933 et l’Anschluss du 12 mars 1938. C’est au cours de cette période clef que fut éprouvée la fidélité des militants nazis autrichiens, qui furent par la suite récompensés par Hitler.
Mots clés : Kaltenbrunner ; Reichssicherheitshauptamt ; serment ; fidélité ; Autriche ; parti nazi.