Le protectorat est un régime de colonisation qui se justifie par son caractère provisoire. En prenant pour objet la réforme de la fonction publique, dont la politique de recrutement des Marocains et Tunisiens dans les cadres coloniaux, cet article propose d’examiner les stratégies des élites coloniales pour prolonger ce caractère temporaire. Les ministres musulmans, partageant un temps la prudence des Français, comprennent rapidement que cette patience est un refus de réformer l’État. La question temporelle est alors un moyen de comprendre la divergence des élites locales et coloniales et l’impossible réforme sous le protectorat.
Comment gérer les temporalités dans l’action publique en faveur des droits humains ? C’est une question que soulève la qualification des situations relevant de l’intervention humanitaire et des droits de l’homme. Dans cet article, nous souhaitons mettre en évidence l’articulation temporelle entre un discours de l’urgence sociale et la longue durée de la mise en norme des droits de l’homme, ainsi que l’articulation des échelles entre le local et le lointain. Il s’agit ici d’explorer le double discours sur la mobilité à la fin de la Première Guerre mondiale : d’un côté, l’Office pour les réfugiés sous ses différentes formes ; de l’autre, l’Organisation internationale du Travail prolonge dans le traitement des réfugiés son action de gestion des mobilités économiques. La décennie des années 1920 nous semble être celle d’une différenciation des questions humanitaires au sein des objets pris dans la définition des droits de l’homme. Les réfugiés en provenance de Constantinople sont progressivement l’objet de toutes les attentions, qu’ils soient russes ou arméniens, et la trajectoire qui les conduit en Europe occidentale se révèle fructueuse pour comprendre comment une politique transnationale de migrations appelle une définition du statut de réfugiés, voire plus encore. Ainsi la question du temps à travers l’urgence s’impose comme un aspect important de la gestion et du traitement des populations.
Au début des années 1960, la dictature franquiste a déployé des efforts considérables pour réformer et synchroniser l’emploi du temps, public et privé, en Espagne. Elle prescrivait un emploi du temps plus rationnel qui permettrait à l’Espagne de rattraper les pays économiquement plus avancés et d’améliorer la moralité publique. Cependant, l’opposition vocale de divers groupes sociaux et d’intérêts ainsi que l’incapacité à comprendre la complexité du temps social ont finalement obligé le régime à abandonner sa vision lointaine. La campagne franquiste faisait partie de tentatives transnationales plus vastes de rationalisation de l’emploi du temps et son étude suggère une nouvelle compréhension de l’autoritarisme politique après 1945.
À partir de la fin du XIXe siècle, avec l’éclosion du paradigme énergétiste, la physiologie commence à s’intéresser à l’organisme comme à un « moteur animé » dont on peut mesurer la vitesse et les latences, un moteur dont toutefois le rendement baisse dans le temps. Dans ce contexte émerge la question de la fatigue. En particulier les recherches sur la fatigue révèlent que cette baisse marginale ne dépend pas exclusivement d’un mécanisme physiologique, mais également du rapport psychosociologique du sujet avec la tâche à accomplir. En effet, la relation au temps de l’effort varie toujours en fonction de la valeur que l’on donne à une réalisation qui s’inscrit dans le futur. Cet article s’intéressera au rôle de cette catégorie psychophysiologique de fatigue dans l’émergence d’une réflexion sociologique et anthropologique sur le concept de temps à la fin du XIXe siècle. Cette approche originale cherche à dépasser l’alternative entre un temps humain subjectif ou objectif, continu ou variable, quantitatif ou qualitatif.
Quelles sont, depuis 1945, les temporalités de l’urgence sociale ? Quels sont les impacts de la conjoncture économique, du marché du logement, de la « politique du thermomètre », de l’évolution sociologique des publics concernés, de l’inventivité associative ? Comment évolue le rapport entre offre et demande d’hébergement ? Vise-t-on d’abord l’inconditionnalité de l’accueil et la mise à l’abri humanitaire, ou la réinsertion des personnes ? Ces interrogations conduisent à dégager quatre temps. De 1945 à la fin des années 1950, dans un contexte de sans-abrisme polymorphe et de crise du logement massive, la domination de la mise à l’abri sur un temps très court (règle des « trois nuits ») conduit à l’entassement dans des asiles de nuit vétustes et non professionnalisés, et à un fort turn over. Puis jusqu’au milieu des années 1970, dans un contexte de moindres besoins et de hausse des moyens pour y faire face, le développement de la « réadaptation sociale » opère un ralentissement du tempo et un travail social mieux adapté aux besoins. Des années 1980 au milieu des années 2000, la dégradation du contexte économique et la médiatisation de ses conséquences sociales scellent un retour à l’urgence et au principe de réactivité – étouffant dans l’œuf toute velléité de réinsertion, pourtant prônée par les politiques publiques. Depuis 2007 enfin, le principe de la stabilisation conduit à reprendre le temps de la réinsertion, mais reporte l’embouteillage dès l’entrée du dispositif et malmène le principe d’inconditionnalité de l’accueil.