Après la publication d’un ouvrage de souvenirs dont le titre évoquait à lui seul le positionnement de Jean Charbonnel au sein de sa famille politique, À la gauche du Général [1] , et d’un essai intitulé Le gaullisme en questions [2] , l’ancien député-maire de Brive récidive à travers un livre d’entretiens avec Laurent de Boissieu, journaliste au service politique du quotidien
Dans le premier chapitre (L’engagement), Jean Charbonnel évoque son adolescence au Quartier Latin et ses souvenirs de
Après avoir rappelé ses débuts en politique, Jean Charbonnel met l’accent sur ce qui constitue à ses yeux les deux piliers du gaullisme, à savoir la légitimité du pouvoir, dont les racines plongent dans l’appel du 18 juin et le rassemblement des Français, dynamique consubstantielle à une certaine idée de
L’ouvrage comporte des passages intéressants sur la question de la dérive droitière de l’UDR qui commença, selon l’auteur, dès 1969 et notamment sur la distorsion qui régnait alors entre le Premier ministre Jacques Chaban-Delmas et le groupe gaulliste de l’Assemblée nationale, ce qui explique en partie le rendez-vous présidentiel manqué du maire de Bordeaux en 1974. Dans les années 1970, Jean Charbonnel noue des contacts avec des hommes de gauche, dont François Mitterrand – qui demanda à le rencontrer entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1974 – et Jean-Pierre Chevènement, à qui il apporta son soutien en 2002. Les relations du maire de Brive avec son homologue corrézien Jacques Chirac sont de plus en plus tendues, ce qui vaut à l’intéressé d’être congédié de l’UDR (1975), avant de rejoindre le RPR (1980) comme délégué général chargé de l’action ouvrière et professionnelle avec en ligne de mire le grand dessein de
Les deux derniers chapitres de ses entretiens (Retour à l’essentiel ? et Dans le vaste monde) permettent à l’auteur d’exposer sa perception de la présidence de Nicolas Sarkozy, en faveur duquel il avait appelé à voter en 2007, d’évoquer la crise économique que traverse la France et d’analyser les grands enjeux de la politique étrangère française. Bien qu’attaché à l’indépendance nationale, Jean Charbonnel ne peut se résigner à restreindre le gaullisme au souverainisme, ce qui peut expliquer les positions quelque peu iconoclastes de Jean Charbonnel sur la construction européenne, puisqu’il avait appelé à voter oui au traité de Maastricht (1992), avant de militer pour le non au référendum sur le traité constitutionnel européen (2005). Du quinquennat de Nicolas Sarkozy, il regrette la pratique présidentialiste des institutions et le retour de la France au sein du commandement intégré de l’OTAN, mais salue néanmoins le courage de « mener à bien des réformes trop longtemps éludées, en brisant des conservatismes souvent inscrits au fond du tempérament national » (p. 248).
Somme toute, cet ouvrage s’inscrit dans la vague des témoignages qui ont été donnés par les principaux spectateurs engagés du gaullisme de la Ve République [8] et au sein desquels il trouve une place de choix. Il apporte une pierre supplémentaire à l’édifice du renouveau de l’histoire du gaullisme [9] qu’il permet d’affiner en replaçant celui-ci dans l’horlogerie des droites. Il propose un essai d’interprétation de l’héritage gaullien, une analyse assez fine de ses héritiers, qu’ils soient considérés comme légitimes ou illégitimes, et une vision de ce que devrait être le gaullisme. Gaulliste de progrès ou gaulliste social, l’itinéraire de Jean Charbonnel incarne cette troisième voie qu’appelait de ses vœux le général de Gaulle et qu’il situait à mi-chemin entre socialisme et libéralisme. Enfin, la lecture de ce livre permet de prendre une certaine hauteur et de quitter l’espace de quelques heures une vallée embrumée par les luttes politiciennes passées ou présentes.
[1] Jean Charbonnel, À la gauche du Général, Paris, Plon, 1996.
[2] Jean Charbonnel, Le gaullisme en questions, Paris, PUF, 2002.
[3] Jean Charbonnel, Histoire de Brive et de sa région, Toulouse, Privat, 1991 et Les légitimistes. De Chateaubriand à de Gaulle, Paris, La Table ronde, 2006.
[4] Condisciple de Jean Charbonnel à l’École normale supérieure, Robert Poujade a été secrétaire général de l’UDR (1968-1971). Élu député de la Côte-d’Or en 1967, il a été maire de Dijon de 1971 à 2001.
[5] Voir Jérôme Pozzi, « L’Appel des 43 et le mouvement gaulliste : manœuvre politique, relève générationnelle et fronde des godillots », Parlement[s]. Revue d’histoire politique, n° 7, octobre 2007, p. 109-120.
[6] Voir Robert Poujade, Avec de Gaulle et Pompidou, Paris, L’Archipel, 2011.
[7] Jacques Chirac, Mémoires, vol. 1 : Chaque pas doit être un but, Paris, Nil éditions, 2009 et vol. 2 : Le temps présidentiel, 2011.
[8] Outre les mémoires de Robert Poujade précédemment cités, voir entre autres : Pierre Lefranc, Gouverner selon de Gaulle, conversations avec Geneviève Moll, Paris, Fayard, 2008 ; Jérôme Monod, Les vagues du temps. Mémoires, Paris, Fayard, 2009 ; Yves Guéna, Mémoires d’outre-Gaulle, Paris, Flammarion, 2010 ; Charles Pasqua, Ce que je sais…, t. I : Les Atrides 1974-1988, Paris, Seuil, 2007 et t. II : Un magnifique désastre 1988-1995, Paris, Seuil, 2008 ; Edouard Balladur, Le pouvoir ne se partage pas : conversations avec François Mitterrand, Paris, Fayard, 2009.
[9] Voir entre autres, Jérôme Pozzi, Les Mouvements gaullistes. Partis, associations et réseaux 1958-1976, Rennes, PUR, 2011.