S’il est désormais acté que l’Amérique du Sud et les Caraïbes ont bien été un théâtre d’affrontement de la guerre froide par le biais de la guerre irrégulière, la plupart des études se sont généralement limitées à souligner les influences états-uniennes et soviétiques sur les acteurs locaux. Or, le sous-continent américain constitue un véritable espace de circulation des savoir-faire et des concepts stratégiques dans le domaine de la lutte antisubversive, impliquant dans le « camp occidental », outre les États-Unis, d’autres puissances dont l’influence est moins connue, telles que la France ou le Royaume-Uni. Participant d’une grande stratégie globale de lutte antisubversive, les principales puissances occidentales se sont ainsi engagées dans une coopération méconnue en vue d’assister les États de la région dans leur lutte contre le communisme. De l’Argentine à la Jamaïque, l’exemple latino-américain démontre pourtant une certaine perversion de cette « sainte alliance » antisubversive par des rivalités et des jalousies d’ordre plus traditionnel et sur l’autel desquelles est souvent sacrifiée la coopération interalliée contre la menace communiste.
Dans la deuxième moitié du XXe siècle, la guerre révolutionnaire en Argentine s’enracine dans plusieurs sources politiques et culturelles. Le nationalisme et l’engagement radical de militants catholiques en représentent quelques exemples. Pourtant, l’essor de la Révolution cubaine (1959) et la radicalisation des milieux contestataires péronistes incarnent deux phénomènes où les aspirations révolutionnaires se concrétisent. Cet article aborde, à partir de trajectoires politico-intellectuelles, les limites et les tensions qui se produisent au sein de la lutte insurrectionnelle entre deux sources centrales d’inspiration : en effet, parfois solidaires, la « voie cubaine » et le modèle d’un péronisme résistant peuvent coexister dans des nébuleuses militantes mais également se bifurquer, voire s’opposer, comme étant deux modèles politiques irréductibles.
Il existe un consensus sur le fait que des doctrines de contre-guérilla (notamment, la « doctrine de la guerre révolutionnaire » française) ont exercé une grande influence dans la formation des militaires et des forces de sécurité argentines, notamment en ce qui concerne le recours à la torture dans le renseignement pendant la campagne de répression clandestine menée par des unités spéciales mixtes entre 1975 et 1983 dans ce pays. Cet article revient sur ce consensus, pour souligner l’importance de l’adéquation et réinterprétation locale de ces doctrines, aspect central du sujet.
La modernisation des services de renseignement fut une préoccupation importante des militaires brésiliens parvenus au pouvoir par le coup d’État d’avril 1964. À partir d’archives d’écoles militaires et de centres d’entraînement, ainsi que du suivi de carrière de certains agents, cet article montre comment une « communauté du renseignement » s’est constituée au Brésil dans les années 1960 et 1970. D’abord improvisée, la formation des agents s’est perfectionnée de façon originale, intégrant la doctrine française, les cours états-uniens et le savoir-faire accumulé au sein des organes répressifs brésiliens.
This paper delves into the establishment and development of the Junta de Coordinación Revolucionaria, a coordinating body formed by members of Uruguay´s MLNT (Tupamaros National Liberation Movement, or MLN-T), Chile’s MIR (Revolutionary Left Movement, or MIR), Bolivia’s ELN (Bolivian National Liberation Army, or ELN), and Argentina’s ERP (People’s Revolutionary Army), whose actions were carried out from 1973 to 1976 in the still-democratic Argentina. It was during this period that these organizations relied more heavily on military action due to the impossibility of political activities caused by the brutal repression of Chilean, Uruguayan, and Bolivian activists in their respective countries. This process occurred under a framework of complete transnationalization of Southern Cone politics, where various actors, ranging from the military to guerrillas, viewed the region as a whole and devised joint actions that transcended national boundaries.
Recent publications on popular movements and armed struggle in post-1940 Mexico undermine state claims of exceptionalism within a Cold War Latin American context characterized by military dictatorships and undemocratic rule. In the impoverished, largely rural southwestern Mexican state of Guerrero, state violence and terror in response to reformist demands and movements based on the 1917 Constitution generated two separate rural guerrilla movements led by schoolteachers. Led by Lucio Cabañas, the Party of the Poor waged revolution for seven years beginning in the late 1960s. It would take a violent and brutal “Dirty War” to defeat the peasant guerrillas. This article explains how and why the revolutionary organization emerged and explores its radical visions for a Mexico “governed by the poor.”
Cette contribution cherche à accompagner un mouvement historiographique récent : le passage, dans l’étude des guérillas du Mexique postrévolutionnaire, d’une « histoire justicière » à une « histoire critique ». Pour ce faire, elle propose une relecture de la genèse de la gauche armée au Mexique, en faisant appel à deux champs historiographiques, l’histoire des mouvements étudiants et celle de la « guerre froide globale ». Elle se centre sur le surgissement d’une des principales guérillas du pays, la Ligue communiste du 23 septembre, organisation fondée en 1973. Elle souligne l’interaction entre les luttes locales et la guerre froide dans le passage extrêmement graduel à la lutte armée, ainsi que le caractère pluriel des références guérillas, bien au-delà du modèle castriste.
En raison de son succès, la guérilla cubaine a été largement étudiée. La phase insurrectionnelle (1956-1958) a fait l’objet de nombreux travaux téléologiques comme les ouvrages d’O. Darushenkov, de Leo Huberman et de Paul Sweezy, d’Alexandr Griniévich ou de James O’Connor. La révolution cubaine est, dans ces ouvrages, présentée comme la conséquence logique d’une société déséquilibrée par l’influence nord-américaine et dont la population soutenait, dès le temps de l’attaque de la caserne Moncada, l’opposition armée à Fulgencio Batista. Dans cette perspective, l’instauration d’un régime nationaliste radical, par la voie révolutionnaire, semblait nécessaire. Pourtant, la réussite de l’insurrection dépendit, dans une large mesure, de sa capacité à convaincre et à mobiliser la population.