« Je pressens, je sens, j’annonce la venue et la présence dans la politique d’une couche sociale nouvelle […] ! » La prophétie prononcée par Gambetta en 1872 est aujourd’hui souvent citée comme un exemple de la lucidité des pères fondateurs de la République, qui auraient habilement lié le destin du nouveau régime à celui des classes moyennes bientôt triomphantes. Mais c’est occulter l’ambivalence de la formule, dont Gambetta lui-même donne des interprétations divergentes à quelques années d’intervalle : appel à la révolution ou souci d’offrir à la République une nouvelle élite ? Alors que Gambetta opère son ralliement à l’opportunisme, il travaille à donner un nouveau sens à son propre discours.
Bastion inféodé au bonapartisme durant les premières années de la troisième République et terre de repli de quelques grandes personnalités du second Empire, la Corse connaît progressivement un phénomène de républicanisation grâce à l’action d’un personnage central, en la personne d’Emmanuel Arène. L’article se propose de comprendre de quelles manières et avec quels moyens, ce jeune journaliste républicain, figure nouvelle de la politique insulaire, arrive en quelques années à constituer un réseau politique d’une puissance telle, qu’il fait chuter la citadelle bonapartiste et devient progressivement le maître absolu de la vie politique en Corse.
Les socialistes sont-ils devenus des notables dans l’entre-deux-guerres ? Si les socialistes reprennent certains de leurs traits (réseaux locaux, personnalisation du pouvoir), ils en transforment la définition-même, contribuant ainsi à la modernisation de la politique locale sous la Troisième République. Les socialistes veulent en effet être des élus techniciens et ils créent ainsi les premières filières de formation. De plus, du fait de leur appartenance à un parti ouvrier, ils construisent de nouveaux types de réseaux : réseaux laïcs, franc-maçonnerie, mais aussi syndicats. Paradoxalement, ces réseaux leur donnent une forme d’indépendance vis-à-vis du parti socialiste SFIO.
Marquée politiquement par de solides bastions conservateurs, la Bretagne dévoile dans l’entre-deux-guerres la place maintenue d’une notabilité traditionnelle incarnée par des grands propriétaires terriens souvent d’origine aristocratique. Face aux défis du suffrage universel, ces derniers mettent en œuvre des stratégies multiples qui témoignent à la fois de leur engagement dans un processus de professionnalisation politique mais aussi de la valorisation de leurs ressources sociales dans le cadre du syndicalisme agricole.
Alors que les discours officiels semblent conforter la place des notables dans le système autoritaire de Vichy où tout dispositif électif est suspendu, c’est au contraire le rôle de l’administration – au travers les préfets – qui sort renforcée aux dépens des notabilités locales. Et lorsque ces notables sont de nouveaux sollicités à partir de 1942, c’est pour mieux tenter de les instrumentaliser afin de contribuer à l’enracinement social du régime. Par ailleurs, cette notabilité traditionnelle entre désormais en concurrence avec de nouveaux notables issus des grands chantiers de la Révolution nationale lancés dès l’été 1940.
Le référendum de 1969, qui conduit le général de Gaulle à quitter le pouvoir, est souvent interprété comme l’acte final d’un conflit latent entre le pouvoir gaulliste et le monde notabiliaire. L’étude d’un monde politique fortement identifiée au modèle du notable, les radicaux socialistes, permet de nuancer cette évolution : la vision désidéologisée et pragmatique que les radicaux se font du gaullisme évolue quand le pouvoir semble remettre en cause des compromis implicites, notamment la dépolitisation des élections locales, mais surtout quand il paraît privilégier une élite locale de substitution, les « forces vives ».
Cet article propose de réfléchir au rapport des notables à la modernisation de la vie politique, à travers la trajectoire de Gaston Defferre, député-maire socialiste de Marseille de 1953 à 1986. Il s’agit de dépasser une lecture opposant notabilité et modernité et d’analyser leurs rapports complexes à trois périodes différentes : la Libération pose le dilemme entre défense des idéaux résistants et construction d’un ancrage local ; la Cinquième République confronte le notable aux défis de la modernisation institutionnelle et partidaire ; les années 1970-1980 voient coexister un ministre modernisateur, maître d'œuvre de la décentralisation, et un notable vieillissant, emblématique d'une sclérose politique locale.
Geoffroy de Montalembert (1898-1993), parlementaire normand de 1936 à sa mort, offre l’exemple d’une figure particulière de la notabilité. Si sa longévité politique, son enracinement dans un territoire rural et sa défense des intérêts agricoles relèvent de traits assez traditionnels en ce domaine, il dut et sut dépasser les héritages qui faisaient de lui un notable de naissance et s’adapter aux conditions nouvelles de l’exercice de la carrière politique, sans, toutefois, abandonner une représentation très aristocratique de celle-ci.
Les élus régionaux français sont une catégorie de personnel politique récente, qui connaît des transformations importantes. Ils ont d’abord été marqués par un recrutement plutôt notabiliaire (1964-1998), peu différent de celui des autres catégories de personnel politique, puis par une stabilisation et une « modernisation » en partie synonymes paradoxalement de dénotabilisation (1998-2010), et enfin par une « déstabilisation » qui n’a pas obéré les logiques de renotabilisation potentielle à l’œuvre (2010-2015).
Maire de Poitiers (PS) de 1977 à 2008, conseiller général (1973-1988) et député (1978-1993) de la Vienne, Jacques Santrot peut-il, pour autant, être considéré comme un « notable » socialiste ? Quel a été son parcours de formation, comment a-t-il appris et exercé la pratique municipale ? Quel lien voit-il entre enjeux locaux et enjeux régionaux, voire nationaux ?