Reportons-nous en 1971, lorsque vous sortez de l’ENA et entrez au Quai d’Orsay : avez-vous toujours rêvé à une carrière diplomatique et – question connexe – y a-t-il chez vous une tradition familiale qui, maintenant, réunirait à la fois votre épouse et vos enfants ? Jeune homme, sortant de Sciences Po et de l’ENA, aviez-vous vraiment envie de cette carrière diplomatique ?
Cela a pris un tour dynastique, mais ne l’était en aucune façon ! J’ai d’abord été un « enfant amoureux des cartes et des estampes » : j’ai rêvé sur les atlas, très tôt, très fort, il y avait sûrement une attirance pour l’étranger, alors que la tradition familiale est médicale. Alors que je ne me sentais pas en mesure de prendre la relève de ces générations d’internes des hôpitaux de Lyon, mon frère cadet a eu précocement une vocation si nette que je me suis senti libéré. Il est vrai que j’ai eu un véritable intérêt pour les affaires internationales très tôt, même si tout cela avait encore un air un peu élémentaire ; mes parents avaient le goût des voyages, ils nous ont fait voyager tôt, nous ont emmenés dans des échanges familiaux. Je me souviens de Munich, on partait en famille avec cinq enfants : Munich à l’époque, en 1954-1955, c’étaient les immeubles encore détruits, les fenêtres ouvertes sur le ciel, voilà des choses qui vous marquent. L’Allemagne, l’Italie depuis la Drôme proche, on y est allés très tôt. Donc l’idée de franchir les frontières et de voyager, ce qui n’était pas si évident à l’époque, m’est venue assez rapidement. Il y avait aussi une tradition très anglophile, des amis anglais de mon père qui passaient régulièrement. À propos des événements d’Algérie, par des liens de famille, très jeune j’ai pris une certaine mesure du drame ; l’Indochine aussi, et j’ai le souvenir, je n’avais pas dix ans, de la description de la vie à Hanoï de ceux qui rentraient et qui m’ont fait rêver d’Asie dès ce moment-là.