Rendre compte d’un ouvrage aussi riche pour l’historien du politique relève de
L’ouvrage est issu à la fois des actes du séminaire parisien organisé à
Le temps était donc venu à la fois d’un bilan et d’une synthèse. C’est l’exercice qui est mené à bien dans l’introduction dont se sont chargés les trois directeurs de la publication : retracer les moments forts qui ont ponctué le déroulement du programme de recherche conformément aux canons de l’ANR. Colloques, séminaires mensuels, publications dans des revues scientifiques [2] , ouvrages collectifs sur le gaullisme, mise en ligne d’un site Internet [3] …
C’est sous le double sceau du renouvellement de l’historiographie du gaullisme longtemps cantonnée à certains passages obligés et de la diversité que s’inscrit cet ouvrage.
Partant du postulat de la diversité dans le temps et dans l’espace du gaullisme incarné par ses personnalités, ses organisations, ses ramifications dans la société civile, l’ouvrage décline en six thématiques l’identité de ce phénomène, lié bien sûr avant tout à un homme d’exception, mais aussi s’éloigne de la vision un peu convenue et monolithique qui a souvent prévalu. Le gaullisme est donc appréhendé comme une famille, une nébuleuse constituée certes d’un parti (l’UNR, l’UNR-UDT, l’UD Ve, puis l’UNR et enfin le RPR), mais aussi d’organisations, de mouvements, de satellites dont la fonction de mobilisation est importante et qui pénètre par le truchement de ces différents réseaux des segments de la société civile. Un gaullisme pluriel aussi par delà les générations différentes rassemblées, les sensibilités diverses, les multiples ancrages régionaux.
La première séquence est consacrée aux organisations militantes gaullistes ou proches des gaullistes et met en valeur un versant plutôt caractéristique d’un gaullisme d’ordre à travers les Comités de défense de la République créés en 1968 et étudiés par François Audigier et le syndicat l’UNI (Nassera Mohraz), tandis que Sébastien Savin montre les évolutions du quotidien gaulliste La Nation. ll revient à Jérôme Pozzi d’analyser le renouvellement générationnel dans le passage de l’UDR au RPR et de s’interroger sur la rupture ou la captation d’héritage du gaullisme par Jacques Chirac.
La deuxième séquence, « Les figures gaullistes (individuelles et collectives) », retrace les portraits de gaullistes qui avaient moins attiré l’attention des historiens privilégiant souvent des parcours plus illustres. Le lecteur découvre ou redécouvre des sensibilités gaullistes proches, mais pas identiques, à travers la figure originale d’un Maurice Schumann (Christian Hocq), d’un Louis Joxe (
Viennent ensuite les portraits de groupe consacrés aux sénateurs gaullistes (David Bellamy) – beaucoup moins connus que les députés –, les entourages politiques sur le long terme (Sabrina Tricaud) avec toute la difficulté de cerner cette notion, et enfin une réflexion (Floran Vadillo) sur le compagnonnage en politique et la spécificité ou non de l’usage de ce concept à la culture gaulliste.
La troisième séquence s’intéresse aux réseaux gaullistes dans la société civile. L’historien à défaut d’un corpus bien déterminé doit ici saisir des influences, des interpénétrations ou des solidarités de fait entre certains milieux et le gaullisme. C’est le cas avec des variables pour les diplomates (Matthieu Trouvé), les gouverneurs du Pacifique (Jean-Marc Regnault), certains universitaires (
Les quatrième et cinquième séquences cartographient les espaces du gaullisme en nuançant, selon les temporalités, ses implantations plus ou moins fortes : Paris étudié par Philippe Nivet, la Lorraine, terre gaulliste ? (Julie Bour), la Bretagne où
La dernière partie, « Les gaullistes dans le temps », dépasse les bornes chronologiques imparties en raison de l’exploration des phénomènes de mémoire : Tous gaullistes aujourd’hui ? (Jean-Louis Matharan) ou encore la mémoire de Jacques Chaban-Delmas à Bordeaux (Gwénaël Lamarque). Elle synthétise aussi le caractère évolutif du ou des gaullismes – comme de l’antigaullisme – (
Les apports, on l’aura compris, sont d’une grande richesse et à plusieurs échelles : qu’il s’agisse des personnalités, des formations ou du gaullisme dans les profondeurs de la nation consacrant ce que Thomas Wieder appelait « le gaullisme au pluriel [4] ». Chaque lecteur, du citoyen éclairé à l’historien spécialiste peut trouver dans toutes ces entrées plaisir de la découverte et matière à réflexion sur la politique contemporaine.
[2] À titre d’exemple :
Yves Denéchère (dir.), « Gaullistes, femmes et réseaux », Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 17, mai-juillet 2012.
François Audigier, David Valence (dir.), « 1958-1962 : l’avènement d’un pouvoir gaulliste ? », Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 12, septembre-décembre 2010.
David Bellamy (dir.), « Gaullistes au Parlement sous la Ve République », Parlement(s), Revue d’histoire politique, hors-série n° 5, 2009.
[4] Thomas Wieder, Le Monde, dimanche 11-lundi 12 novembre 2012.