La place de l’Irlande et le statut des Irlandais au sein de l’Empire britannique entre 1801 et 1921 (...)
La place de l’Irlande et le statut des Irlandais au sein de l’Empire britannique entre 1801 et 1921 ont suscité de nombreuses études et alimenté de vifs débats historiographiques depuis les années 1990. L’Irlande, partenaire ou colonie de la Grande-Bretagne ? Les Irlandais, acteurs ou victimes de l’impérialisme britannique ? L’objectif de cet article est d’abord de rendre compte de l’ampleur des controverses et des renouvellements historiographiques récents relatifs à ces questions – des avancées qui portent en particulier sur la présence et les circulations irlandaises dans l’Empire, et sur les multiples connexions irlando-indiennes. Il s’agit aussi de montrer comment cet élargissement de la focale d’analyse interroge la nature de la subordination irlandaise et les formes de la résistance à la domination britannique. Ainsi, la prise en compte de l’échelle du « monde britannique » a-t-elle contribué à enrichir notre compréhension générale de la « question d’Irlande ».
Mots clés : Irlande, Empire britannique, nationalisme, circulations, historiographie.
“Ireland, The Irish and the British Empire under the Union (1801-1921)”
Ireland’s situation and the position of the Irish within the British Empire between 1801 and 1921 have aroused numerous studies and fed lively historiographical debates since the 1990s. Was Ireland a British colony or a partner? Were the Irish actors or victims of Britsh imperialism? The first object of this article is to account for the extent of recent discussions and renewals related to those questions – the Irish presence and circulations inside the Empire, the numerous Irish-Indian connections, etc. This paper also aims at showing that those explorations of different levels and focus of analysis help to specify the nature of Irish subordination and the modes of resistance to the British domination. Considering the ‘British world’ scale greatly contributes to enrich our understanding of the ‘Irish question’.
Key words : Ireland, British Empire, nationalism, circulations, historiography.
La « question d’Irlande » a souvent été abordée, dans l’historiographe comme dans le débat public, du point de vue des relations bilatérales anglo-irlandaises [1] . Depuis les années 1990, la perspective a partiellement évolué, en particulier à la faveur du renouvellement des approches et des travaux sur l’Empire britannique [2] . Ainsi, les trois derniers volumes de l’Oxford History of the British Empire (1999) – consacrés au XIXe siècle, au XXe siècle et à l’historiographie – comportent chacun un chapitre dédié à l’Irlande. En replaçant le débat à l’échelle impériale et plus seulement à celle du Royaume-Uni, en comparant avec d’autres territoires britanniques, un nombre croissant d’historiens a jugé pertinent de reposer la (double) question de la place de l’Irlande et du statut des Irlandais dans un « monde britannique » entendu au sens large.
Interroger les relations entre l’Irlande,
En ouverture d’un numéro spécial de la revue américaine Éire-Ireland dédié au sujet, Michael De Nie et Joe Cleary soulignent en 2007 que « les travaux relatifs à l’Irlande et l’Empire britannique constituent aujourd’hui un domaine de recherche des plus dynamiques dans le champ des études irlandaises [3] ». Dans un article plus récent encore (2009), Stephen Howe se réjouit de pouvoir annoncer l’obsolescence du constat, qui avait été le sien au début des années 2000, suivant lequel le terrain des relations entre l’Irlande et l’Empire était à la fois peu et mal défriché [4] . Désormais, s’il admet que les historiens ne doivent pas relâcher leurs efforts, il insiste sur la profusion et la qualité des travaux qui ont contribué à inverser la tendance [5] .
À la lumière des principaux renouvellements historiographiques qui ont alimenté ce dossier touffu, l’objectif est ici de questionner la nature et les formes de la domination britannique en Irlande au XIXe siècle en la replaçant dans un cadre impérial élargi. Je reviendrai d’abord sur les principaux discours énoncés au XIXe siècle et qui ont constitué la matrice des interprétations postérieures. J’examinerai ensuite les terrains d’affrontement historiographiques majeurs qui témoignent de l’ampleur des controverses sur le statut de l’Irlande au sein du monde britannique. La question, longtemps négligée, de la participation des Irlandais à l’aventure impériale sera abordée à part, dans une troisième partie. Enfin, je m’interrogerai sur les connexions impériales irlando-indiennes, et en particulier sur l’influence, souvent postulée, du modèle irlandais de résistance sur les mouvements nationalistes émergents en Inde.
La présence anglaise remonte au XIIe siècle, mais la véritable mainmise sur l’Irlande a débuté sous le règne d’Henri VIII. Par vagues successives aux XVIe et XVIIe siècles, la conquête militaire est ensuite allée de pair avec l’imposition de l’autorité politique et spirituelle des souverains. Les terres confisquées aux catholiques qui refusaient de se convertir furent redistribuées à des colons protestants anglais ou écossais. Puis, au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, un arsenal législatif antipapiste – les Penal Laws – est venu parachever la soumission de l’île. Les catholiques irlandais, qui représentaient 80 % de la population, étaient devenus des sujets de seconde zone, dépossédés et exclus de toute position de pouvoir [6] .
Le 1er janvier 1801, en application de l’Acte d’Union voté quelques mois plus tôt, l’Irlande change de statut pour intégrer officiellement le noyau central de l’Empire. Jusqu’en 1921, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande constitue l’unique entité politique souveraine dans les îles Britanniques. En principe, l’Irlande n’est plus ni une possession ni un royaume dépendant. En fait, le partenariat entre égaux, annoncé, n’a jamais été à l’ordre du jour et l’Union a d’abord été pensée comme un moyen de renforcer le contrôle britannique, en réponse à l’insurrection républicaine de 1798. Dès les premières années de l’Union, les contemporains ont débattu au sujet du véritable statut de l’île. Au cours du XIXe siècle, situer l’Irlande au sein du monde britannique est devenu un exercice incontournable pour les principaux acteurs de la vie politique, qui se sont livrés à une véritable guerre des mots, au cours de laquelle chacun a pris soin d’exprimer sa vision du monde et de préciser ses objectifs. Trois grandes catégories de discours peuvent être distinguées.
Ainsi peut-on résumer la position de la plupart des séparatistes irlandais, qui fustigent une union de façade masquant la perpétuation d’une situation de domination de type colonial. Les séparatistes ou nationalistes révolutionnaires se réclament de
À partir de la fin des années 1960, dans le contexte de guerre civile en Irlande du Nord, les républicains de la province (hommes politiques, artistes, etc.) se sont à leur tour largement appropriés le thème de l’Irlande-colonie, pour qualifier le passé, mais aussi pour décrire le présent et justifier leur lutte. Selon Terrence McDonough, si les historiens ont souvent été réticents à employer le mot colonie pour décrire la situation de l’Irlande au XIXe siècle, c’est notamment pour éviter d’apparaître comme des relais du discours des paramilitaires de la fin du XXe siècle [9] .
En Irlande, le camp nationaliste est loin de constituer un tout homogène [10] . Jusqu’en 1917, l’horizon d’attente républicaine et révolutionnaire précédemment décrit est très minoritaire, au regard de la popularité des nationalistes constitutionnels, dont l’action s’inscrit dans les limites de la légalité. Ils réclament, par les voies légales et la pression populaire, une plus large autonomie politique. Le recours à la violence est proscrit, même si le discours sur ce thème, notamment chez Parnell, n’est pas toujours sans une certaine ambiguïté. Plusieurs formules de self government, aux contours à dessein souvent vagues, ont jalonné le XIXe siècle irlandais. Conduite par Daniel O’Connell dans les années 1830-1840, la campagne pour l’abrogation de l’Union législative (Repeal) et le retour d’un Parlement local à Dublin est à l’origine du premier mouvement autonomiste de masse. À partir des années 1870, le flambeau est repris par l’association pour le Home Rule, dominée par la personnalité de Charles Stewart Parnell, partisan d’une forme d’autonomie avancée. Au début du XXe siècle, le journaliste Arthur Griffith propose à son tour, sans toutefois obtenir la même audience, sa solution pour l’Irlande, très inspirée du modèle austro-hongrois de la « double monarchie [11] ».
Quel que soit le projet retenu, il prévoit a minima l’abolition de l’Union, jugée responsable de tous les maux de l’Irlande, et le rétablissement de la souveraineté irlandaise pour les affaires intérieures. Si la question de la nature du lien avec
Aux antipodes du projet politique porté par les nationalistes constitutionnels, les unionistes partagent pourtant avec eux, mais pour d’autres raisons, le refus catégorique de penser l’Irlande en termes coloniaux. Ils prônent le statu quo institutionnel, le respect du cadre de l’Union de 1801 et s’opposent à toute idée de séparation ou même d’autonomie, qui menacerait leur position privilégiée. Le nord-est de l’île, où les protestants sont démographiquement majoritaires, concentre l’essentiel des forces unionistes irlandaises, dont l’identité s’est construite autour d’un ultra-loyalisme à
Le 28 septembre 1912, au cours de leur campagne de résistance au troisième projet de Home Rule, les unionistes d’Ulster signent un pacte, un engagement solennel (Ulster Solemn League and Covenant) par lequel ils renouvellent leur allégeance au souverain – mais pas au gouvernement libéral à l’origine du projet de loi – et au système politique britannique, leur foi protestante et leur attachement à l’Empire, dont l’unité est à leurs yeux menacée par les ambitions nationalistes irlandaises : « Convaincus dans notre conscience que l’autonomie serait désastreuse pour le bien-être matériel de l’Ulster aussi bien que de toute l’Irlande, subversive de notre liberté civile et religieuse, fatale à notre citoyenneté et dangereuse pour l’unité de l’Empire, nous, soussignés, HOMMES de l’Ulster, loyaux sujets de sa Gracieuse Majesté le Roi George V […] nous nous engageons par le présent acte dans un Pacte solennel, en ces jours où la calamité menace, à nous soutenir les uns les autres en défendant pour nous et nos enfants notre position, qui nous est chère, de citoyens égaux dans le Royaume-Uni, et en usant de tous les moyens qui s’avèreront nécessaires pour vaincre la conspiration actuelle visant à établir un Parlement autonome en Irlande [14] . »
Pour les unionistes, affirmer ainsi leur attachement à la civilisation anglaise et leur fierté de se sentir britanniques, « citoyens égaux dans le Royaume-Uni », est aussi une manière de signifier un double refus : celui de considérer l’Ulster comme un territoire colonisé, secondaire, soumis contre son gré à une autorité supérieure ; celui d’accepter la version nationaliste qui les présente comme des colons et des oppresseurs.
L’histoire de l’unionisme, délaissée par les universitaires, a longtemps été l’apanage des militants, des porte-parole et des thuriféraires de la cause qui ont repris, souvent sans nuance, les arguments exposés au paragraphe précédent. Depuis les années 1980-1990, une nouvelle historiographie de l’unionisme, distincte d’une histoire unioniste, porte un regard plus « scientifique » sur le même passé. Ces historiens n’hésitent plus, au risque de froisser, à interroger l’identité unioniste, son invention et sa construction, son évolution, sa complexité aussi, entre Irishness, Britishness et Scottishness [15] . La remarquable synthèse d’Alvin Jackson, Ireland, 1798-1998, intègre ces acquis récents de la recherche dans un récit équilibré qui fait aujourd’hui référence [16] .
Les controverses historiographiques au sujet du statut de l’Irlande au sein de l’Empire britannique ont pour toile de fond deux lectures concurrentes du passé irlandais qui font volontiers écho aux discours élaborés au XIXe siècle, et s’affrontent sur trois terrains privilégiés.
Depuis trois décennies, des artistes et des chercheurs irlandais et américains – poètes, critiques littéraires, historiens, etc. – ont réaffirmé la dimension coloniale du passé irlandais et se sont employés à mettre au jour ses multiples traces dans la société actuelle. Declan Kiberd, David Lloyd, Luke Gibbons ou encore Seamus Deane incarnent ce courant qui propose une relecture de l’histoire nationale à l’aune des problématiques et des méthodologies associées aux postcolonial studies. Dans un livre collectif paru en 1990, Nationalism, Colonialism and Literature, Seamus Deane signe une introduction-programme où il analyse la situation nord-irlandaise contemporaine comme une crise coloniale. Dans le même ouvrage, la figure du poète et écrivain William Butler Yeats (1865-1939) est revisitée par Edward Said, qui dresse le portrait du jeune Yeats en auteur « postcolonial », à la fois héritier d’une culture anglaise qui « le dominait et lui donnait sa puissance d’écrivain » et résistant anti-impérialiste exprimant « les expériences, les aspirations et la vision d’un peuple qui souffre sous la domination d’une puissance voisine. De ce point de vue, Yeats est un poète qui appartient à une tradition qui n’est pas habituellement considérée comme la sienne, celle du monde colonial régi par l’impérialisme européen [18] ».
Sur ce point, les historiens proches du courant « révisionniste » – qui n’a rien en commun avec les falsifications négationnistes – ont exprimé de très fortes réticences. Depuis les années 1930, ils ambitionnent de relever les exigences scientifiques de la discipline et de livrer un récit historique émancipé du carcan imposé par la téléologie et la mythologie nationalistes. La revue Irish Historical Studies, fondée en 1938, témoigne de l’ampleur du chantier entrepris, qui touche la plupart des champs de l’histoire. À l’image de leur chef de file actuel, Roy Foster, les révisionnistes critiquent le « roman national(iste) » qui, à leurs yeux, repose sur une lecture étriquée et partisane de l’histoire de l’île : l’Irlande ne serait que la victime de l’impérialisme britannique et du sectarisme protestant, et les Irlandais des résistants, acharnés et héroïques, à cette oppression multiforme [19] . Depuis la fin des années 1980, ces historiens ont eu à essuyer de multiples critiques. Leurs adversaires raillent l’« austérité clinique » de leurs travaux, une histoire désincarnée, déshumanisée à l’extrême, par exemple lorsqu’ils abordent l’étude de
Qu’il soit contesté ou assumé, le « tournant postcolonial » irlandais en histoire contemporaine a suscité une production scientifique sans précédent, des travaux dont l’ambition première aura été, suivant les cas, de confirmer ou de contredire des énoncés qui avaient jusque-là souvent été affirmés plus que véritablement démontrés.
Peut-on parler d’un « modèle irlandais de gestion coloniale » ? Depuis une vingtaine d’années, cette question a mobilisé les historiens, avec toujours en arrière-plan l’intention d’interroger la dimension coloniale de l’île au XIXe siècle.
Dans sa contribution au recueil Was Ireland a Colony ?, Peter Gray rappelle avec justesse que l’intégration législative de 1801 n’a rien changé à l’organisation et au fonctionnement de l’administration irlandaise dont le siège, Dublin Castle, demeure un bastion et un symbole de la domination politique britannique en Irlande. Directement nommé et subordonné à Londres, le vice-roi (ou Lord Lieutenant) se maintient au sommet de cet exécutif local, où il est secondé par le Chief Secretary, lui-même souvent membre du Cabinet britannique. Figure héritée de la conquête, le vice-roi est fréquemment comparé à un gouverneur colonial [23] . En dehors de l’Irlande, l’Inde est le seul territoire impérial sur lequel, à partir de 1858,
À l’appui de la thèse de l’Irlande colonie et laboratoire pour l’Empire, d’autres historiens ont depuis longtemps mis en avant la question du maintien de l’ordre. Outre le déploiement de troupes britanniques dans des proportions inenvisageables ailleurs au Royaume-Uni [26] , l’île se distingue pendant la période de l’Union par l’existence d’une force de police originale,
Le champ de la science coloniale a aussi fourni quelques exemples intéressants d’expériences éprouvées en Irlande avant d’être exportées dans le monde britannique. Lorsqu’il apparaît nécessaire aux autorités britanniques de mieux connaître le territoire indien par exemple, afin de mieux le maîtriser, l’exploiter et le gouverner, les techniques mises en œuvre et les savoirs mobilisés en Irlande quelques années plus tôt sont largement réinvestis. Les travaux de Matthew H. Edney, confirmés par ceux de Barry Crosbie, ont bien montré que la cartographie de l’Irlande (Ordnance Survey of Ireland), établie entre 1824 et 1846, a très concrètement servi de trame au grand projet de cartographie trigonométrique des Indes orientales (Great Trigonometrical Survey of India), initié en 1802 et achevé en 1866 [30] . En outre, les échanges et les contacts étaient réguliers entre George Everest, Surveyor-General en Inde – responsable, à ce titre, du programme militaire de cartographie des Indes – et son homologue pour l’Irlande, Thomas Frederick Colby. À l’invitation de ce dernier, Everest a même fait le déplacement sur l’île verte pour bien s’imprégner des méthodes irlandaises qu’il comptait ensuite transposer en Inde, avec l’intention de rationaliser et d’uniformiser l’entreprise de cartographie du sous-continent. Au début des années 1830, les transferts de personnel étaient aussi très fréquents, au point que l’Irlande constituait une étape quasi obligée pour les jeunes engineer cadets, afin de s’y perfectionner avant de rejoindre le grand chantier indien. Selon Thomas Best Jarvis, autre personnage clé du programme asiatique, la division du travail « à l’irlandaise » a été transposée sur le théâtre indien : le labeur fastidieux et répétitif était délégué aux locaux, tandis que des officiers britanniques supervisaient les opérations et prenaient en charge les analyses scientifiques [31] .
L’histoire économique et sociale constitue un autre champ de bataille historiographique majeur. Dans le premier chapitre de Was Ireland a Colony ?, Denis O’Hearn s’appuie sur la « théorie de la dépendance » (dependency theory), forgée après
Dans Ireland and Empire, Stephen Howe se montre fort sceptique quant à la validité du scénario « postcolonial » pour rendre compte de l’histoire économique irlandaise depuis le XIXe siècle [34] . Il réfute l’idée selon laquelle la situation économique de l’île était très comparable à celle d’autres dépendances coloniales. À ses yeux, cette grille de lecture conduit à surestimer « l’arriération économique » de l’Irlande au XIXe siècle et à aplanir les différences entre les formes de la domination britannique en Irlande et celles en vigueur ailleurs dans l’Empire. En outre, précise-t-il, l’Irlande indépendante au XXe siècle n’est jamais devenue le pays du Tiers Monde que certains semblent pourtant décrire. Bien au contraire, son développement économique, certes chaotique, a plus à voir avec celui d’autres petits États européens qu’avec les ex-territoires britanniques d’Afrique ou d’Asie. Dans un solide article de synthèse qui, dans l’ensemble, dialogue avec les différents courants historiographiques plus qu’il ne choisit l’un ou l’autre camp, l’historien David Fitzpatrick se range plutôt à l’avis de Stephen Howe lorsqu’il aborde le terrain économique [35] . Il nuance en tous cas – essentiellement à partir de données quantitatives existantes pour la fin de la période – le tableau brossé par les tenants de l’Irlande-colonie, en soulignant que l’île fut l’un des principaux partenaires commerciaux de
Au cours des dix dernières années, la question de l’impérialisme culturel a sans doute été la plus investie par les chercheurs qui affirment la situation coloniale de l’Irlande au XIXe siècle [36] . L’exemple du « système national irlandais d’éducation élémentaire », instauré en 1831, est souvent convoqué pour montrer que
Les études sur la diffusion dans
La plupart des controverses évoquées dans les pages précédentes ne sont pas closes. En guise de bilan d’étape, je retiens l’appréciation suivante, formulée par Stephen Howe, dont les propos ne sont pas toujours aussi nuancés : « Si le statut juridique de l’Irlande, son identité culturelle, etc., ne ressortissent pas du domaine colonial au XIXe siècle », en pratique, bien des choix politiques britanniques reposent sur le postulat – souvent implicite – suivant lequel l’Irlande doit être appréhendée comme « un élément du système impérial externe » plutôt que comme une composante à part entière du Royaume-Uni [44] .
Depuis une dizaine d’années, portés par une double inflexion historiographique qui tend à réévaluer le jeu des acteurs et à replacer l’histoire de l’île dans une perspective moins irlando-centrée, de nombreux chercheurs se sont penchés sur les expériences irlandaises dans l’Empire britannique, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles pistes interprétatives.
En 1996 paraît un ouvrage collectif dont le titre, An Irish Empire ?, ne passe pas inaperçu. Keith Jeffery, le maître d’œuvre du recueil, invite le lecteur à repenser la contribution impériale des migrants irlandais. Par leur naissance, précise-t-il, ces hommes et ces femmes sont associés à un territoire subordonné, mais par leur action sur place, ils/elles ont pu jouer un rôle très actif dans le développement de l’Empire [45] .
D’emblée il est utile de rappeler que les départs vers les États-Unis ont toujours supplanté les flux cumulés à destination des territoires impériaux. Sur l’ensemble de la période de l’Union (1801-1921), l’historien Donald Akenson estime à plus de huit millions le nombre total d’Irlandais ayant quitté leur île natale : environ cinq millions pour les États-Unis, un million et demi – souvent les plus démunis – pour
Dès les premières décennies du XIXe siècle, l’émigration est un processus bien amorcé en Irlande. Un million de personnes, au bas mot, a choisi de partir entre 1815 et 1845. La catastrophe de
Pour la masse des migrants ordinaires, ouvriers ou paysans en quête d’une vie meilleure, la contribution à l’Empire est délicate à évaluer, souvent indirecte et pas nécessairement consciente. À l’autre extrémité de la chaîne, quelques cas emblématiques de réussite irlandaise se distinguent. Charles Gavan Duffy (1816-1903) présente notamment la particularité d’avoir lutté dans sa jeunesse contre l’impérialisme britannique en Irlande, avant de devenir un homme d’État de tout premier plan en Australie, au prix d’une spectaculaire reconversion. En juillet 1848, il est arrêté pour ses activités révolutionnaires, républicaines et séparatistes au sein de l’Irish Confederation. Relâché l’année suivante, il émigre en Australie en 1856. Rallié au système monarchique, à l’Empire et au self government, il réalise une brillante carrière politique, au point d’accéder, en 1871, au poste de Premier ministre de l’État de Victoria [49] . À distance du parcours hors norme d’un Gavan Duffy, d’autres Irlandais ont pu réaliser de belles carrières coloniales sans avoir à renier leur attachement à l’île verte ou leur soutien à la cause nationale. L’engagement dans l’armée ou l’administration impériale a notamment constitué un réel vecteur de promotion sociale pour une minorité d’entre eux qui a servi, de façon plus ou moins zélée, l’English Rule outre-mer [50] .
Hommes du rang ou officiers, les Irlandais recrutés dans les forces armées impériales ont activement participé aux conquêtes coloniales, puis au maintien de l’ordre dans les possessions britanniques, en particulier en Inde, comme l’ont bien montré les travaux de T. G. Fraser, Keith Jeffery et Thomas Bartlett.
Quelques-unes des gloires de l’histoire militaire britannique sont issues de l’aristocratie anglo-irlandaise, parmi lesquelles le duc de Wellington (qui répugnait cependant à mentionner ses origines) et le maréchal Kitchener. Au sein de l’armée du Bengale, entre 1758 et 1834, les Irlandais représentaient autour de 20 % du total des officiers. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, ce sont en moyenne 30 % des officiers stationnés en Inde qui étaient originaires de l’île verte, à l’image de Lord Frederick Roberts (1832-1914), l’un des plus fameux « commandants en chef » de l’armée des Indes. Pour avoir conduit ses troupes à la victoire lors de la bataille de Kandahar (1880), décisive pour l’issue de
À l’instar de Kipling qui rend hommage à leur bravoure et de leur abnégation dans le poème « Shillin’ a day », les soldats irlandais, au même titre que leurs homologues des Highlands d’Écosse, semblent avoir joui d’une bonne réputation auprès de leurs contemporains britanniques [53] . Écrivains et journalistes soulignent à la fois leur brutalité – souvent présentée comme un gage d’efficacité face aux populations indigènes – et leur loyalisme à
L’histoire des Irlandais au service de l’armée impériale recèle son lot de situations paradoxales : des nationalistes ont par exemple combattu face à face au cours de la guerre des Boers. Tandis que deux Irish Transvaal Brigades comptant quelque 400 hommes (dont Connolly et Griffith) sont engagées aux côté des Boers, 28 000 soldats irlandais servent dans les rangs britanniques [56] . À l’échelle individuelle, le parcours d’Arthur Lynch (1861-1934) est symptomatique des circulations impériales parfois complexes et du caractère non figé des allégeances possibles. Cet Australien d’origine catholique et irlandaise, grand voyageur, successivement professeur de mathématiques, journaliste (un temps correspondant de presse à Paris), écrivain et médecin, officia successivement comme colonel dans l’armée boer (il commande
Si la presse britannique se montre assez bienveillante à l’égard des soldats irlandais, les choses vont différemment pour les fonctionnaires impériaux. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, certains commentateurs considèrent même que l’administration de l’Empire est gangrénée par l’afflux inconsidéré d’agents irlandais ; ils alertent l’opinion face à ce qu’ils décrivent comme l’inquiétante émergence d’un « Irish Raj ». L’historien Scott B. Cook a bien montré que ce discours alarmiste, cautionné par une partie des hommes en charge du recrutement, avait pour matrice la force des préjugés anti-irlandais dans l’Angleterre victorienne. Ses travaux, prolongés par ceux de T. G. Fraser et Kevin Kenny, ont aussi confirmé que la contribution irlandaise fut significative à tous les échelons de l’administration impériale, en particulier au sein du prestigieux Indian Civil Service [58] .
Dans les années qui précèdent la dissolution de l’East India Company en 1858, le recrutement des Civilians est réformé. Les universités irlandaises, Trinity College (Dublin), Queen’s (Belfast) ou encore Cork et Galway, sont particulièrement investies dans la formation des futurs agents. Elles ouvrent des cours de zoologie, de langues orientales (arabe, sanscrit), d’histoire de l’Inde, etc. Les résultats sont à la hauteur des efforts consentis : entre 1855 et 1863, 24 % des civilians, recrutés sur concours, viennent d’Irlande, quand ils représentaient moins de 5 % du total au début du siècle. La proportion de catholiques progresse, passant de 8 % des Irlandais recrutés pour les années 1855-1864 à 29 % pour la période 1905-1914. À Trinity College, Robert Atkinson, professeur de sanscrit et de philologie comparée (1871-1907), incarne ce dynamisme irlandais en matière de formation du personnel impérial. Atkinson était réputé maîtriser, outre l’anglais, l’irlandais et le sanscrit, le grec, le latin, l’hébreu, le copte, l’arabe, le telougou, le tamoul, le persan, le chinois…
L’Irlande a fourni à l’Inde quatre de ses vice-rois, et un homme comme Sir Anthony Patrick MacDonnell, bien que catholique et favorable à une plus large autonomie pour l’Irlande au sein de l’Empire, a occupé le poste prestigieux de lieutenant-gouverneur des Provinces du Nord-Ouest et de l’Oudh (1895-1901), à l’issue d’une brillante carrière « indienne », au cours de laquelle il a gravi en 36 ans la plupart des échelons au sein de l’Indian Civil Service [59] . À l’image de MacDonnell, mais sans toujours atteindre le niveau de responsabilité obtenu par celui-ci, il était possible pour un Irlandais catholique de réaliser une belle carrière dans l’administration coloniale sans avoir à renier son soutien à la cause du nationalisme constitutionnel. Cependant, comme le souligne Scott B. Cook, l’influence irlandaise au sein de l’administration impériale ne doit pas être exagérée et la proportion d’Irlandais dans l’Indian Civil Service a d’ailleurs rapidement décru à partir de 1864, pour ne plus représenter qu’entre 5 et 10 % des effectifs entre 1880 et 1914 [60] . Ailleurs dans l’Empire, la présence irlandaise dans la haute administration est moindre encore ; les Irlandais occupent essentiellement des postes subalternes, notamment dans les services publics en Australie et au Canada.
Plusieurs études récentes, dont le précieux volume collectif Ireland and the British Empire (2004), convergent pour reconnaître que la spécificité nationale des Irlandais installés dans l’Empire a tendance à s’estomper [61] . Loin des îles Britanniques, le fossé qui les sépare des « Britons » ne paraît plus aussi infranchissable. Si les préjugés anti-irlandais perdurent au Royaume-Uni au XIXe siècle, ils s’atténuent au profit d’une solidarité « blanche » (whiteness), dès lors qu’on s’éloigne de ses rivages, comme le notait déjà Gandhi, en observateur lucide : « Les Indiens souffrent de nombreuses discriminations en Inde comme à l’étranger, partout ils sont considérés comme inférieurs aux Anglais. Les Irlandais ne comptent pour rien dans leur propre pays, où ils subissent l’oppression de leurs maîtres anglais. Mais à peine ont-ils quitté l’Irlande qu’ils peuvent jouir des mêmes droits que les Anglais [62] . » En situation coloniale, les Irlandais sont conscients et profitent, comme les Anglais, de leur supériorité raciale. Ils se tiennent, semble-t-il, à distance des indigènes et de leurs revendications [63] . En 1940, un tragique fait divers donne la mesure de la distance qui pouvait séparer les Irlandais présents en Inde de la population « autochtone ». Cette année-là, un Sikh nommé Udham Singh assassine un administrateur impérial irlandais à la retraite, Michael O’Dwyer. Celui-ci n’était manifestement pas perçu par l’auteur du coup de revolver comme le représentant d’un peuple colonisé dont il pouvait se sentir solidaire, mais bien plus comme un agent de l’oppression « blanche ». Le mobile du crime confirme cette hypothèse, puisque Singh reprochait à O’Dwyer, plus de vingt ans après les faits, d’avoir soutenu et couvert le massacre d’Amritsar, le 13 avril 1919, alors qu’il occupait la fonction de gouverneur du Penjab [64] .
Jusqu’aux années 1990, on peine à trouver des travaux sérieux sur ces colonisés devenus colonisateurs au nom de
En outre, les liens tissés par les nationalistes irlandais avec d’autres mouvements patriotiques et/ou anti-impérialistes à travers l’Empire ont fait l’objet de réévaluations récentes qui incitent à ne pas négliger cet autre versant des influences irlandaises dans l’Empire, en particulier en Inde, où l’histoire d’Udham Singh, aussi spectaculaire soit-elle, n’a pas valeur d’explication universelle du rapport à l’Irlande et de la perception des Irlandais par les Indiens.
Dans les années 1980-1990, le travail de Scott B. Cook sur les Irlandais dans l’Indian Civil Service, ainsi que sa magistrale étude comparée des luttes et des politiques agraires en Irlande et en Inde, ont donné une impulsion décisive à l’historiographie des connexions, des analogies et des échanges « intra-impériaux » entre ces deux territoires au XIXe siècle [69] . Depuis, la plupart des analyses, qu’elles ressortissent à l’histoire politique, sociale ou culturelle, ont confirmé à quel point les « rencontres » entre ces deux espaces différemment périphériques et très éloignés par la taille, la distance et la culture, avaient l’Empire britannique non seulement pour toile de fond mais aussi pour condition de possibilité [70] . L’intérêt pour le couple irlando-indien s’inscrit dans le cadre du renouvellement historiographique suscité par
Dans le domaine de l’histoire politique des résistances à la domination britannique, les premiers travaux qui rapprochent les expériences irlandaises et indiennes, dès les années 1970-1980, sont à mettre à l’actif d’Howard Brasted et Richard P. Davis. Le premier étudie l’écho du Home Rule irlandais en Inde à la fin du XIXe siècle, tandis que le second concentre son attention sur l’influence de la « révolution irlandaise » après
En 1880, dans les colonnes du Blackwood’s Edinburgh Magazine, le major-général William Hamley prédisait que les « actes, les discours et les écrits [des nationalistes irlandais] allaient de plus en plus servir de mauvais exemples ailleurs dans l’Empire [74] ». Dans le dernier quart du XIXe siècle, alors que le mouvement pour le Home Rule s’impose en Irlande sous la direction de Parnell, la contamination de l’Inde par le modèle « séditieux » irlandais, telle que la prophétise Hamley, préoccupe les élites britanniques, depuis Lord Salisbury jusqu’au vice-roi, l’aristocrate irlandais Lord Dufferin.
Dans les années 1870-1880, l’idée selon laquelle seule une « nation indienne » unifiée serait en mesure de contester la domination britannique fait son chemin au sein de l’intelligentsia urbaine indienne, formée aux idées européennes mais tenue à l’écart du pouvoir politique. Au cours du lent processus d’invention de la communauté nationale qui s’amorce, ses promoteurs puisent une partie de leur inspiration à la source d’autres modèles d’affirmations nationales. En Europe, l’Allemagne et l’Italie, dont les unifications sont récentes, et l’Irlande, qui agit au cœur même de l’Empire britannique, retiennent particulièrement l’attention [75] . Howard Brasted a étudié en détail ce qu’il nomme « l’impulsion » ou la « stimulation » irlandaise « dans le développement de la conscience nationale au cours de la phase initiale de l’éveil politique indien [76] ». Sur le plan institutionnel, la formule du Home Rule plaît à ces nationalistes légalistes et modérés, mais c’est plus encore la perspective d’une mobilisation populaire « all-India », dans le sillage de celles conduites par O’Connell et Parnell, qui suscite l’enthousiasme, au point qu’une figure de premier plan comme Surendranath Banerjea en appelle en 1876 à la création « d’associations politiques sur le modèle de l’Association catholique de Daniel O’Connell [77] ». Si la pratique de l’agitation de masse n’est pas advenue en Inde avant le XXe siècle, la presse nationaliste – Hindoo Patriot, Hindu de Madras, Bengalee, etc. – se fait l’écho, dès les années 1870-1880, des grandes campagnes irlandaises pour les réformes agraires (1879-1882) et pour le Home Rule (1884-1886). Les articles qui couvrent ces événements proposent souvent une analyse en deux temps. Ils insistent d’abord sur les analogies entre deux pays conquis et occupés, appauvris et victimes de la famine [78] , mal gouvernés et sacrifiés au profit des intérêts britanniques. Ils incitent ensuite les Indiens à s’inspirer de la voie irlandaise pour affiner les contours de celle choisie par l’Inde.
En Irlande, le parcours de Frank Hugh O’Donnell (1848-1916), député nationaliste à
Après 1886, les liens entre les nationalistes des deux pays, déjà ténus et fragiles, se distendent encore. Le rejet des deux projets de Home Rule présentés par Gladstone en 1886 et 1892, la crise interne traversée par le nationalisme irlandais dans les années qui suivent le désaveu et la mort de Parnell en 1891… favorisent le repli sur soi et le recentrement sur des problèmes plus étroitement nationaux. La « liaison constitutionnelle » avec l’Inde connaît toutefois un sursaut pendant
Après
À propos des années d’après-guerre, John Gallagher écrit que « le soleil ne se couche jamais sur [l]es crises [de l’Empire britannique]. L’historien qui étudie l’une ou l’autre isolément le fait à ses risques et périls, dans la mesure où les conséquences de ces crises tendent à s’entremêler. […] Chaque crise renforce le climat de suspicion généralisée qui met à vif les nerfs des décideurs politiques [85] ». Au début des années 1920, plus encore sans doute que dans les années 1880, Londres redoute en effet une action concertée et simultanée des mouvements séparatistes irlandais, égyptiens et indiens. Les informations en provenance de l’Empire alimentent les craintes. En 1921 par exemple, un télégramme envoyé par
Menace réelle ou surestimation du danger par les autorités britanniques ? Le débat sur la nature et l’ampleur de la « connexion révolutionnaire » irlando-indienne au début des années 1920 n’en finit pas de diviser les historiens. Selon Keith Jeffery, « le modèle irlandais de la guérilla qui s’est développé entre 1919 et 1921 ne fut pas suivi en Inde [88] ». Et l’historien de rappeler que sous l’influence de Gandhi, le sous-continent s’est globalement engagé sur la voie de l’agitation pacifique. Keith Jeffery ajoute que rien ne transparaît dans les archives qui pourrait attester de l’existence d’un réseau solide et durable entre les adeptes – très minoritaires en Inde – de la lutte armée, en dehors de contacts marginaux établis entre une poignée d’individualités hautes en couleur mais peu représentatives de véritables « connexions radicales [89] ». On retrouve une tonalité approchante dans d’autres contributions, notamment celles de Sarmila Bose et Eilis Ward (1997) ou encore de Elleke Boehmer (2006) qui insiste sur le caractère « friable », souvent superficiel ou très éphémère de ces relations transnationales [90] . Enfin, au-delà de grandes déclarations de principes et de quelques citations isolées, Keith Jeffery émet aussi des doutes sur l’ampleur de l’impact théorique ou tactique qui aurait été celui du nationalisme révolutionnaire irlandais sur les mouvements radicaux indiens. Sur ce dernier aspect, la réponse de Michael Silvestri est convaincante. À partir d’une étude centrée sur le Bengale, il réévalue au contraire l’influence idéologique et stratégique des séparatistes irlandais sur les mouvements révolutionnaires indiens. Il souligne d’abord qu’en Inde, dans les années 1920-1930, le nationalisme n’est pas réductible au seul Parti du Congrès. Au Bengale, le mouvement de libération, favorable à l’emploi de la force, se tient à distance des propositions non violentes de Gandhi et rejette les critiques émises par celui-ci au sujet de la lutte armée expérimentée en Irlande par le Sinn Féin et l’IRA. Bien au contraire, pour les séparatistes bengalis, « la révolution irlandaise » est source d’inspiration et de motivation. Pour la première fois en effet, au cœur de l’Empire, un mouvement insurrectionnel a triomphé du pouvoir britannique. En outre, explique l’historien, le ton très antibritannique des Irlandais explique qu’ils tiennent le haut du pavé parmi les références internationales des nationalistes bengalis dans les années 1920 et 1930 [91] .
À l’appui de sa démonstration, Michael Silvestri mobilise une masse considérable de discours de propagande, d’articles de presse, de publication diverses qui font référence à l’Irlande et à son histoire, proposant une version du passé qui fait la part belle aux actions d’éclats et aux sacrifices des grands hommes de la révolution –
Dans la hiérarchie impériale, l’Irlande est loin de faire jeu égal avec l’Angleterre, sa situation n’est pas non plus assimilable à celle des colonies blanches de peuplement dotées d’un gouvernement responsable, encore moins à celle de l’Inde ou des colonies de
L’histoire de l’Irlande au XIXe siècle ne peut s’écrire à travers le prisme unique de la « condition coloniale », au risque de proposer une interprétation trop réductrice. Toutefois, ne pas tenir compte de la rémanence d’institutions et de pratiques de type colonial, qui font écho à des expériences plus anciennes ou à d’autres situations impériales nuit tout autant à la richesse de l’analyse. En définitive, c’est bien l’hybridité et l’ambivalence du statut de l’Irlande et des Irlandais à l’échelle des îles Britanniques, et a fortiori à celle de l’Empire, qui ressort des travaux récents. « Pour l’Irlande, résume Alvin Jackson, l’Empire fut en même temps une chaîne et une clé, un espace de contrainte et de libération à la fois [97] . » Les Irlandais ont été des victimes et des acteurs de l’impérialisme. L’Irlande fut simultanément une plaque tournante au sein du maillage impérial – à la fois laboratoire de pratiques exportables et pourvoyeuse d’agents impériaux –, une menace permanente de subversion et un modèle de résistance à la domination britannique pour d’autres populations ultramarines.
Si parler d’un « exceptionnalisme » irlandais est évidemment exagéré – on pourrait aisément objecter que chaque parcelle d’Empire représente après tout un cas singulier –, l’ampleur des controverses précédemment évoquées, la proximité géographique et l’ancienneté des relations avec l’Angleterre, les formes particulières de la domination britannique et de la résistance irlandaise, les réformes successives, l’émigration, la complexité de la société irlandaise elle-même, la compatibilité entre des identifications et des loyautés qui nous paraissent a priori paradoxales ou inconciliables… tous ces éléments constituent les indices convergents d’une subordination spécifique de l’Irlande à l’échelle de l’Empire et d’une intégration incomplète à celle du Royaume-Uni au XIXe siècle. Mais sur toutes ces questions, les débats, politiques autant qu’historiographiques, restent ouverts…
Pour citer l’article : Laurent Colantonio, « L’Irlande, les Irlandais et l’Empire britannique à l’époque de l’Union (1801-1921) », Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 14, mai-août 2011, www.histoire-politique.fr
[1] Parmi les « classiques » du genre en anglais : Oliver MacDonagh, States of Mind. A Study of Anglo-Irish Conflict, 1780-1980, Londres, Allen & Unwin, 1983 ; David George Boyce, The Irish Question and British Politics, 1868-1996, Basingbroke, Macmillan, 1988 ; Eugenio Biagini, British Democracy and Irish Nationalism 1876-1906, Cambridge, Cambridge University Press, 2007 ; Alan O’Day et Neil C. Fleming (dir.),
[2] En français, cf. la mise au point historiographique proposée par Bernard Porter, « L’Empire dans l’histoire britannique », Revue d’histoire du XIXe siècle, n° 37, 2008/2, p. 127-143.
[3] Éire-Ireland, numéro spécial, 2007, 1 et 2, Michael de Nie and Joe Cleary (dir.), introduction, p. 5-10.
[4] Stephen Howe,
[5] Stephen Howe, “Minding the Gap: New Directions in the Study of
[6] L’emploi du terme « colonie » pour qualifier la situation de l’Irlande entre le milieu du XVIe siècle et la fin du XVIIIe siècle ne fait cependant pas l’unanimité parmi les spécialistes. Cf. Nicholas Canny, Kingdom and Colony.
[7] John Mitchel, The Last Conquest of
[8] Cf. la récente réévaluation proposée par Christine Kinealy, Repeal and Revolution.
[9] Terrence McDonough (dir.), Was
[10] Deux ouvrages importants ont insisté sur les différents « modèles » nationalistes en concurrence : David George Boyce, Nationalism in Ireland, Londres, Routledge, 1982 ; Tom Garvin, The Evolution of Irish Nationalist Politics, Dublin, Gill & Macmillan, 1981. Une référence plus récente : Richard English, Irish Freedom. The History of Nationalism in
[11] Arthur Griffith, The Resurrection of
[12] Pauline Collombier-Lakeman, “
[13] “Report on a Public Speech [Mullingar Repeal meeting, 14 may 1843] by Daniel O’Connell”, The Nation, 20 mai 1843.
[14] « Ulster Solemn League and Covenant » (28 septembre 1912), texte traduit par Anne Nicolle-Blaya, L’Ordre d’Orange en Ulster. Commémorations d’une histoire protestante, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 210.
[15] Pour un panorama de ce renouvellement historiographique, cf. Laurence M. Geary and Margaret Kelleher (dir.), Nineteenth-Century Ireland. A Guide to Recent Research,
[16] Alvin Jackson,
[17] « L’Irlande était-elle une colonie ? » : ce titre reprend celui d’un ouvrage important, dont le contenu sera discuté plus loin : T. McDonough (dir.), Was Ireland…, op. cit.
[18] Terry Eagleton, Frederic Jameson et Edward Said, Nationalism, Colonialism, and Literature, avec une introduction de Seamus Deane, Minneapolis/Londres, University of Minnesota Press, 1990, trad. française : Nationalisme, colonialisme et littérature, Villeneuve-d’Ascq, PUL, 1994, p. 69 et 80 pour les citations.
[19] Roy Foster est notamment l’auteur d’une histoire de l’Irlande en deux volumes (Roy F. Foster, Modern Ireland. 1600-1972, Londres, Allen Lane, 1989 et Roy F. Foster, Luck and the Irish. A Brief History of Change, 1970-2000, Londres, Allen Lane, 2007) et de deux recueils où il expose sa vision de l’histoire (Roy F. Foster, Paddy and Mr Punch, Connections in Irish and English History, Londres, Allen Lane, 1993 et Roy F. Foster, The Irish Story: Telling Tales and Making It Up in Ireland, Londres, Allen Lane, 2001.
[20] Brendan Bradshaw, “Nationalism and Historical Scholarship in Modern
[21] S.
[22] Stephen Howe, Anticolonialism in British Politics. The Left and the End of Empire 1918-1964,
[23] Peter Gray, « "
[24] David Cannadine, Ornamentalism. How the British Saw their Empire, Londres, Penguin, 2001, p. 45-46. Le travail en cours de Miles Taylor permettra bientôt de préciser les choses. Cf. Miles Taylor, « The Irish Lord Lieutenancy and the imperial viceroys », communication délivrée lors du colloque
[25] S. Howe, Ireland and Empire…, op. cit., notamment chap. 12.
[26] Selon les chiffres proposés par David Fitzpatrick, 25 000 soldats étaient stationnés en Irlande en 1881 ; à l’échelle de l’Empire, seule l’Inde faisait mieux à la même époque. David Fitzpatrick, “Ireland and the Empire”, in Andrew Porter (dir.), The Oxford History of the Britsh Empire, vol. 3, The Nineteenth Century, Oxford, Oxford University Press, 1999, p. 494-521, p. 498.
[27] Sir Charles Jeffries, The Colonial Police, Londres, Max Parrish, 1952.
[28] Richard Hawkins, “"The Irish model" and the Empire: a Case for Reassessment”, dans David M. Anderson et David Killingray (dir.), Policing the Empire. Government, Authority, and Control, 1830-1940,
[29]
[30] Matthew H. Edney, Mapping the Empire. The Geographical Construction of British India, 1765-1843, Chicago, University of Chicago Press, 1997, en particulier les chapitres 7 et 8 ; Barry Crosbie, “Ireland, Colonial Science, and the Geographical Construction of British Rule in India, c. 1820-
[31] M. H. Edney, Mapping…, op. cit, p. 281-285.
[32] Denis O’Hearn, “
[33] Terrence McDonough et Eamonn Slater, “Colonialism, Feudalism and the Mode of Production in nineteenth-century
[34] S. Howe, Ireland and Empire…, op. cit., chapitres 8 et 12.
[35] D. Fitzpatrick, art. cit., p. 501-503.
[36] En témoignent les cinq articles qui composent la 4e partie « Culture » de T. McDonough (dir.), Was Ireland…, op. cit.
[37] John Coolahan, “Primary Education as a Political Issue in O’Connell’s Time”, in Maurice R. O’Connell (dir.), O’Connell. Education, Church and State,
[38] Pour une introduction aux thèses défendues par cet historien, cf. par exemple R. F. Foster, Paddy and Mr Punch…, op. cit., introduction p. xi pour la citation.
[39] Lewis Perry Curtis Jr, Apes and Angels. The Irishman in Victorian Caricature, (1971)
[40] Sheridan Gilley, “English Attitudes to the Irish in England, 1789-
[41] R. F. Foster, Paddy and Mr Punch…, op. cit., p. 171-194, citation p. 174.
[42] Sean J. Connolly, art. cit., p. 26.
[43] Gary K. Peatling, “The Witheness of
[44] S.
[45] Keith Jeffery (dir.), An Irish Empire? Aspects of Ireland and the British Empire,
[46] Donald H. Akenson, The Irish Diaspora. A Primer, (1993)
[47] Michael Holmes, “The Irish and
[48] Andy Bielenberg, “Irish Emigration to the British Empire, 1700-
[49] Charles Gavan Duffy, My Life in Two Hemispheres, Londres, T. Fisher Unwin, 1898, 2 vol.
[50] Parmi les Irlandais qui « circulent » dans l’Empire, nous laisserons de côté, faute de place et non par manque d’intérêt, les missionnaires, en majorité des catholiques (formés aux séminaires de All Hallows et de Maynooth), mais aussi des presbytériens de
[51] T. G. Fraser, “Ireland and India”, dans K. Jeffery (dir.), An Irish Empire…, op. cit., p. 77-93 ; M. Holmes, art. cit., p. 236-237.
[52] Thomas Bartlett, “The Irish Soldier in
[53] « My name is O’Kelly, I’ve heard the Revelly / From Birr to
[54] Sur les usages politiques de la mutinerie, cf. les deux chapitres suivants : “The Remains of Irelands Loneliest Martyr : the Commemoration of the Connaught Rangers Mutiny” et “Enemies of the Empire? The imperial Context of the Connaught Rangers mutiny”, dans Michael S. Silvestri,
[55] Anthony Babington, The Devil to Pay. The Mutiny of the Connaught Rangers,
[56] K. Jeffery, art. cit., p. 95-96.
[57] Sur A. Lynch, cf. notamment Alvin Jackson, “Ireland, the Union, and the Empire, 1800-
[58] Pour ce paragraphe et le suivant, cf. l’article de référence de Scott B. Cook, “The Irish Raj: Social Origins and Careers of Irishmen in the Indian Civil Service”, Journal of Social History, 20-3, 1987, p. 507-529. Cf. aussi T. G. Fraser, art. cit. et Kevin Kenny, “The Irish in the Empire”, dans K. Kenny (dir.), Ireland and the British Empire, op. cit., p. 90-122.
[59] Sur MacDonnell, cf. l’article de M. L. Brillman, « An Uncommon Under-Secretary: Sir Anthony MacDonnell,
[60] S. B. Cook, art. cit., p. 511-512.
[61] K. Kenny (dir.), Ireland and the British Empire, op. cit. Quatre chapitres sont au coeur des problématiques annoncées en introductiont de cet article : K. Kenny, “Ireland and the British Empire: An Introduction”, p. 1-25 ; K. Kenny, “The Irish in the Empire”, p. 90-122 ; A. Jackson, “Ireland, the Union, and the Empire, 1800-
[62] Mahatmah Gandhi, The Collected Works of M. Gandhi, vol. 7, 1962, p. 213, cité par Nagai Kaori, Empire of Analogies.
[63] M. Holmes, art. cit. ; S. B. Cook, art. cit., p. 514-518 et 522.
[64] L’histoire est notamment relatée par K. Kenny, “The Irish in the Empire”, dans K. Kenny (dir.), Ireland and the British Empire, op. cit., p. 90-92.
[65] Piaras Mac Einri, « Introduction », dans A. Bielenberg (dir.), The Irish Diaspora, op. cit. Cf. aussi Hiram Morgan, “An Unwelcome Heritage: Ireland’s Role in British Empire-building », History of European Ideas, vol. XIX, n° 4-6, 1994, p. 619-625.
[66] Dans le flot de publications, je me contenterai ici de citer le titre le plus emblématique (Kerby A. Miller, Emigrants and Exiles. Ireland and the Irish Exodus to North America, Oxford, Oxford University Press, 1985) et de renvoyer pour le reste au solide bilan historiographique dressé par Joseph Lee, “The Irish diaspora in the nineteenth century”, in L. M. Geary and M. Kelleher (dir.), Nineteenth-Century Ireland., op. cit., p. 182-222.
[67] Denis Judd, Empire…, op. cit., p. 41.
[68] Scott B. Cook, Imperial Affinities. Nineteenth-Century Analogies and Exchanges Between
[69] S. B. Cook, art. cit. ; S. B. Cook, Imperial Affinities…, op. cit.
[70] Quelques jalons importants (classement chronologique) : T. G. Fraser, art. cit. ; M. & D. Holmes (dir.), Ireland and India…, op. cit ; Chris A. Bayly, “Ireland, India and the Empire, 1780-
[71] Cf. Alan Lester, “Imperial Circuits and Networks. Geographies of the
[72] Howard Brasted, “Indian Nationalist Development and the Influence of Irish Home Rule, 1870-
[73] En particulier Kate O’Malley,
[74] William Hamley, “
[75] Claude Marcovits, « L’Inde coloniale : nationalisme et histoire », Annales HSC, 37e année, n° 4, juillet-août 1982, p. 648-668, notamment p. 657-661.
[76] H. Brasted, “Indian Nationalist Development…”, art. cit., p. 37 et 40 pour les citations, p. 54-61 pour la suite du paragraphe.
[77] Surendranath Banerjea, cité par K. Jeffery (dir.), An Irish Empire…, op. cit., introduction, p. 9.
[78] L’Irlande et l’Inde sont les deux territoires impériaux les plus sévèrement touchés par le fléau, à quelques décennies d’intervalle. Les études comparées de ces famines, encore peu nombreuses, tendent à montrer que, dans les deux cas, la question de la responsabilité britannique se pose à peu près dans les mêmes termes. Cf. Peter Gray, “Famine and Land in
[79] H. Brasted, “Indian Nationalist Development…”, art. cit., p. 50-51 ; T. G. Fraser, art. cit., p. 85-86. O’Donnell est l’auteur d’une histoire du parti parlementaire irlandais (A History of the Irish Parliamentary Party, Londres, Longmans, 1910, 2 vol.), dans laquelle il décrit son attachement à la cause indienne et relate par le détail ses efforts pour faire converger les initiatives nationalistes en Irlande et en Inde.
[80] O’Donnell, discours du 17 février 1882 à
[81] H. Brasted, “Indian nationalist developent…”, art. cit., p. 47 et H. Brasted, “Irish Nationalism and the
[82] Michael Davitt, The Fall of Feudalism in Ireland, Londres, Harper, 1904, p. 446-447 ; F. H. O’Donnell, A History…, op. cit., vol. 2, p. 428 ; H. Brasted, “Indian nationalist development…”, art. cit., p. 48-49 ; Carla King, “Michael Davitt, Irish nationalism and the British Empire in the late nineteenth Century”, dans Peter Gray (dir.),
[83] Annie Besant (1847-1933) est issue d’une famille irlandaise. D’abord militante féministe, libre-penseuse et membre de
[84] Joost Augusteijn (dir.), The Irish Revolution, 1913-1923,
[85] John Gallagher, “Nationalisms and theCrisis of Empire, 1919-
[86] Michael S. Silvestri, “The "Sinn Féin of India": Irish Nationalism and the Policing of Revolutionary Terrorism in
[87] Extrait du discours d’Eamon de Valera, « India and Ireland », prononcé à New York (1920), cité par M. Silvestri, art. cit., p. 460. Sur la place de l’Inde dans la propagande révolutionnaire irlandaise, cf. aussi R. P. Davis, India in Irish revolutionary propaganda, art. cit.
[88] K. Jeffery (dir.), An Irish Empire…, op. cit., introduction, p. 9 ; Keith Jeffery, « The road to Asia, and the Grafton Hotel, Dublin: “Ireland in the "British world"”, Irish Historical Studies, special issue, op. cit., p. 243-56.
[89] Cf. le compte rendu critique, par Keith Jeffery, du livre de Kate O’Malley, Ireland, India and Empire, op. cit., sur le site Reviews in History : http://www.history.ac.uk/reviews/review/763 [page consultée le 14 juillet 2010].
[90] Sarmila Bose and Eilis Ward, « "
[91] M. Silvestri, art. cit.
[92] “The Youths of Bengal (1929)”, cité par M. Silvestri, art. cit., p. 469.
[93] Kate O’Malley, “Ireland, India and Empire: Indo-Irish Separatist Political Links and Perceived Threats to the British Empire”, dans T. Foley et M. O’Connor (dir.), Ireland and India…, op. cit., p. 225-232, en particulier p. 226.
[94] M. Silvestri, art. cit., p. 470-472. cf.
[95] M. Silvestri, art. cit., p. 484.
[96] Cf. Michael Hechter, Internal Colonialism. The Celtic Fringe in British National Development, (1975) New Brunswick (N.J.), Transaction Publishers, 1999 et Géraldine Vaughan, « Un empire écossais ? L’Écosse et le monde britannique, 1815-1931 », Histoire@Politique. Politique, culture, société, revue électronique du Centre d’histoire de Science Po, n° 11, mai-août 2010, http://histoire-politique.fr/index.php?numero=11&rub=dossier&item=108 (dernière consultation le 21 juillet 2010).
[97] A. Jackson, “Ireland, the Union, and the Empire, 1800-
Laurent Colantonio est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Poitiers-IUFM (Centre de recherches interdisciplinaire en histoire, histoire de l’Art et musicologie, CRIHAM, ex-GERHICO-CERHILIM).