D’emblée, le sous-titre du livre de
Alors que le traitement scientifique de la dictature nazie constituait le champ d’expérience des historiens allemands, la RDA est rapidement devenue un objet d’études très prisé par les historiens du temps présent qui l’ont analysée à l’aune d’une grille de lecture totalitariste, sociale, socio-historique ou culturelle. Elle a suscité la création d’une fondation publique chargée du traitement de la dictature du SED (StiftungzurAufarbeitung der SED-Diktatur), des instituts de recherche (comme l’institut d’histoire du temps présent de Potsdam, le centre de recherches sur le totalitarisme Hannah Arendt de Dresde), des débats historiographiques et publics intenses en Allemagne autour de la Stasi et de ses collaborateurs officieux, des sites mémoriels (le mur de Berlin et son processus de patrimonialisation), du dopage dans le monde du sport. Mais la RDA suscite aussi l’intérêt des historiens anglo-saxons et français. Il existait dès avant 1989 une recherche sur la RDA mais la césure de 1989-1990 a contribué à un renouveau historiographique considérable incarné notamment en France par des historiens comme Sandrine Kott [2] mais aussi par des politistes (Jay Rowell), des ethnologues (Marina Chauliac), des germanistes (Jacques Poumet, Carola Hähnel-Mesnard, Myriam Renaudot).
Au terme de vingt années de recherches et de débats sur la nature du régime, les conditions de son développement, les raisons de sa stabilité et de son effondrement aussi soudain qu’inattendu,
On regrettera d’emblée l’absence quasi totale de référence à l’historiographie anglo-saxonne (mis à part l’ouvrage de John Torpey sur les intellectuels) qui a pourtant produit ces dernières années de remarquables travaux sur les questions du rapport à l’argent (Jonathan Zatlin [3] ), des universités (John Connelly [4] ), de la consommation (Eli Rubin [5] ), des femmes (Donna Harsch [6] ), des rapports entre pouvoir et société (Mary Fulbrook, Corey Ross [7] ) en RDA. Même si la bibliographie proposée par
Le livre de
Au terme de ces prodromes internationaux,
La seconde grande césure correspond à 1971 et à la passation de pouvoir entre Ulbricht et Honecker validée par Moscou. Celle-ci ouvre une période où le SED mise sur sa politique sociale pour légitimer le socialisme réellement existant auprès de la population tout en permettant à la Stasi de perfectionner son système de surveillance et de contrôle de
Au-delà de la qualité des informations factuelles données, le lecteur pourra être parfois surpris par la reprise sans recul de certaines thèses, comme celle par exemple de Klaus-Dietmar Henke sur « la Stasi aux commandes de l’État grâce à son rôle de manipulatrice » (p. 71) ou des expressions connotées politiquement comme « État-SED » utilisée sans guillemet. Il aurait fallu interroger ces positions (celle de Henke renvoie clairement à une interprétation totalitariste du régime) ou ces expressions, d’autant que des chercheurs comme Jens Gieseke [9] ont montré que la Stasi n’a jamais été un « État dans l’État » et qu’elle n’a été qu’un instrument aux ordres du bureau politique du SED.
Sur le plan de la forme, il est vraiment regrettable que le travail de lectorat de la maison d’édition Peter Lang n’ait pas été davantage soigné. Un certain nombre de coquilles laissées dans les notes de bas page (et parfois dans le corps du texte) pourront irriter un lecteur averti [10] .
Au final, ce livre a le mérite de proposer une synthèse très utile, complémentaire de la récente histoire sociale de la RDA par Sandrine Kott [11] . Il laisse tout de même un sentiment d’inachevé et de flou surtout au regard de la production historiographique actuelle. Au-delà de la qualité factuelle de l’ouvrage, on peine à voir se dégager un fil conducteur. On a parfois l’impression que l’immense travail de synthèse qui mérite d’être salué a empêché un retour réflexif sur l’histoire de cette dictature. Au fond, le lecteur n’obtient pas réellement de réponse à cette question centrale : comment expliquer la « stabilité énigmatique » de ce régime ? De surcroît, en raison de sa facture très classique, cet ouvrage ne permet pas de penser l’histoire de la RDA comme relevant d’une histoire intégrée de l’Allemagne depuis 1945, d’une histoire du Bloc de l’Est (en dépit de passages factuels sur les liens entre la RDA et le COMECON), voire de ce que fut la modernité socialiste face au système capitaliste.
Dès 2003, Jürgen Kocka plaidait pour que l’histoire de la RDA élargisse son horizon réflexif et s’insère dans des jeux d’échelles plus larges. Le livre de
[1] Rudolf von Thadden, Frage an Preußen : zur Geschichte eines aufgehobenes Staates, Munich, Beck Verlag, 1981. Traduit de l'allemand par Hélène Cusa et Patrick Charbonneau, Arles, Actes Sud, 1985.
[2] Sandrine Kott, Le communisme au quotidien. Les entreprises d'État dans la société est-allemande, Paris, Belin, 2001.
[3] Jonathan Zatlin, The Currency of Socialism: Money and Political Culture in
[4] John Connelly,
[5] Eli Rubin, Synthetic Socialism: Plastics and Dictatorship in the German Democratic Republic, Chapel Hill,
[6] Donna Harsch, Revenge of the Domestic: Women, the Family, and Communism in the German Democratic Republic, Princeton,
[7] Mary Fulbrook, Anatomy of a Dictatorship: Inside the GDR, 1949-1989,
[8] Wilfried Loth, Stalin ungeliebtes Kind. Warum Moskau die DDR nicht wollte,
[9] Jens Gieseke, Die Stasi 1945–1990, Munich, Pantheon Verlag, 2011.
[10] « Aufszeichnungen » (p. 13), « Hanover » (p. 34), « Freier Deutsche Gewerkschaftsbund » (p. 39), « Arbeiter-und-Bauern-Staates » (p. 63), « Psychoanalytisch Untesuchungen » (p. 71), « NeueKurs » (p. 91 et 99), « in den beidendeutschen Gesellschaft » (p. 127), « Konsumentwirkung » (p. 154), « Produktionaufgebot » (p. 154), « Neueökonomisches System » (p. 154), « Inoffiziele Mitarbeiter » (S. 199), « Lebensstandart » (p. 246)…
[11] Sandrine Kott, Histoire de la société allemande au XXe siècle, tome III : La RDA (1949-1989), Paris, La Découverte, 2011.