Dans la lignée de ses précédents travaux consacrés aux fêtes et aux cérémonies publiques dans la France des XIXe et XXe siècles, Rémi Dalisson, professeur d'histoire contemporaine à l'université de Rouen, a choisi, dans le présent ouvrage, de se consacrer à l'analyse des rapports qu'entretiennent guerres et mémoire en France de 1870 à nos jours. Sa réflexion s'ouvre sur le constat selon lequel le poids de la mémoire de guerre y est particulièrement lourd : huit célébrations nationales sur les douze que compte le calendrier mémoriel commémorent un conflit. Selon lui, ces commémorations, organisées pendant ou après les combats, appelées à perdurer – 11 Novembre ou 8 Mai –, parfois variées dans leur thématique – des fêtes de la résistance aux mémoires de guerres particulières – visent à produire de la légitimité et à incarner la Nation par l'établissement d'un consensus. Les analysant comme des révélateurs d'impensés identitaires, l'auteur se propose de suivre ces rapports entre histoire et mémoire, faits de ruptures et de continuités, selon un cheminement chronologique en quatre moments partant des premières cérémonies de guerre à la suite de la défaite de 1870 pour aboutir au 11 Novembre « rénové » que nous connaissons aujourd'hui.
Sans ignorer l'existence de précédents, Rémi Dalisson fait donc remonter cette tradition commémorative aux lendemains de la guerre de 1870, les premiers monuments aux morts surgissant dès l'après-guerre afin que la nation puisse « surmonter sa douleur et faire son deuil ». Aussi les premiers édifices et cérémonies du souvenir seront-ils pris en charge par les communes, les « petites patries », avec le soutien de l'Église, ainsi que les groupements d'anciens combattants. Avec l'élaboration d'un cadre juridique concernant les cimetières militaires et les progrès électoraux des républicains, les cérémonies d'inauguration de monuments vont se charger d'un autre sens, le deuil laissant place à une politique de la mémoire qui adosse idée de revanche et idéal républicain en transformant la défaite en victoire morale. Ces fêtes, diverses dans leurs objets, deviennent un lieu de militantisme et de pédagogie civique s'appuyant sur un dense encadrement associatif et scolaire, tout un environnement festif et sonore posant les fondements « d'une culture de guerre ». Cependant, selon l'auteur, l'unanimisme va laisser place aux premières tensions entre deux types de nationalisme, liées au débat sur l'identité française. Ces cérémonies, au départ fondées sur un « nationalisme ouvert » consensuel, vont connaître, dans le contexte de l'affaire Dreyfus et des offensives des Ligues, la concurrence d'un « nationalisme fermé », fondé sur la race biologique et hanté par le déclin, qui va de plus en plus dicter leur agenda et les discours qui s'y tiennent.
Au seuil du deuxième temps de l'étude qui le mène jusqu'en 1944, l'auteur souligne que
L'après-Libération ouvre le troisième temps de
Le retour du général de Gaulle voit les cérémonies s'orienter vers une mise en valeur de sa « geste fédérative » et, alors que la lutte des mémoires avec les communistes se poursuit, l'auteur souligne que cette vision unanimiste ne fait plus consensus dans une « société travaillée par l'hédonisme ». Aussi, l'arrivée à la tête de l'État de deux présidents de la République qui n'ont pas ou peu connu la résistance mène à un recadrage des cérémonies non sans contestations de la part des associations d'anciens combattants, la « modernisation » des fêtes – qui empruntent pourtant toujours au roman national sous François Mitterrand – débouchant notamment sur une valorisation de l'identité européenne illustrée par la cérémonie de 1984 à Verdun.
S'étendant de 1990 à nos jours, la dernière période marque l'aboutissement d'un processus qui voit le « consensus des fêtes vole[r] en éclat », chaque groupe social revendiquant « sa » journée commémorative. À travers l'exemple de la Journée de Commémoration des persécutions racistes et antisémites, Rémi Dalisson décrit un format commémoratif de Journées qui lui semble moins intégrateur que les commémorations traditionnelles qui concernent l'ensemble des citoyens. L'autre nouveauté de la période est l'affirmation de ces revendications particulières aux « guerres honteuses », d'Algérie et d'Indochine. Dans ce cadre, chaque commémoration devient l'occasion de conflits mémoriels aggravés par les usages de l'histoire de Nicolas Sarkozy et le débat sur l'« identité nationale ». En cela le 11 Novembre rénové entre en résonance avec sa conception de la Nation perçue « comme une essence supérieure construite sur le temps long des guerres, une nation racinée dans la glèbe et la religion autant que dans la République ». L'auteur regrette alors de voir, en dehors de tout projet pédagogique, tous les conflits mis sur le même plan et décontextualisés, seule subsistant – comme en 1870 – l'émotion.
En conclusion, Rémi Dalisson nous offre ici un ouvrage stimulant et passionnant, comme l'illustre sa description des mobilisations lors des Journées de guerre ou des fêtes de